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Longtemps abordé sous le seul angle de la médecine du travail et de la formation aux bonnes postures, le discours autour de l’ergonomie a évolué. Ergonomes comme fabricants accordent aujourd’hui davantage de liberté de mouvement aux collaborateurs. L’essor du télétravail et des espaces partagés redessinent les contours de la notion.

Conséquence du Covid-19, la banalisation du télétravail modifie en profondeur la perception de l’ergonomie. Plus sédentaires que jamais dans un contexte de home office généralisé, les salariés du tertiaire ont pris conscience de l’importance de disposer d’un poste de travail ergonomique. « Il y a d’abord eu une réelle satisfaction à télétravailler, note Benoît Corbin, consultant ergonome chez le Groupe JLO. Mais au bout de quelques semaines de bien-être cognitif et psychologique, les collaborateurs ont réalisé que leur environnement professionnel à la maison était souvent insuffisant, générant de mauvaises postures qui aboutissent à des douleurs. » Alors que les cabinets d’ergonomie sont confrontés depuis un peu moins d’un an à un afflux de demandes d’entreprises désireuses de se former à la prévention des troubles musculo-squelettiques, la situation des employés reste globalement peu satisfaisante.

Le fabricant Steelcase a publié en mars une étude qui révèle que 35 % des salariés n’ont pas d’espace de travail confortable chez eux et sont contraints de travailler sur leur lit (pour 8 % d’entre eux) ou dans leur canapé. Autre enseignement de l’étude, les salariés développent depuis le début de la crise sanitaire une conception plus large du bien-être. Quand ils sont au bureau, ils souhaitent varier les postures, mais aussi changer de décor et se déplacer régulièrement tout en bénéficiant d’un environnement propice à la concentration. Un nouveau paradigme qui va de pair avec le développement du travail hybride : naviguant entre bureau et domicile, le salarié a besoin de solutions ergonomiques où qu’il se trouve. La réduction des surfaces dans les immeubles de bureaux et l’essor du flex office nécessitent de repenser le mobilier.

Équipements dynamiques

« Une nouvelle forme d’intervention ergonomique est en train d’émerger, à savoir l’ergonomie de conception, qui permet d’avoir du matériel correspondant aux besoins des salariés, éclaire Marjorie Dumont-Crisolago, présidente de Preventech Consulting.

Dans le même temps, il est essentiel d’effectuer tout au long de sa journée de travail au moins trois postures différentes. » « Le modèle du poste de travail parfait avec les coudes à 90° est encore très répandu, mais il n’a pas fait ses preuves, abonde Yannick Benet, consultant en ergonomie chez Neo Forma. Bien sûr, un équipement de qualité influence favorablement la qualité de vie au travail, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il faut changer de posture au moins une fois toutes les heures. » Pour inciter au mouvement, les fabricants développent du matériel et des accessoires dynamiques. Encore l’exception il y a quelques années, les bureaux réglables en hauteur commencent à se répandre dans les open spaces et permettent d’alterner les positions assis/debout. De la même manière, les sièges sans réglage qui s’adaptent au poids et à la morphologie de chacun, les repose-pieds dynamiques ou encore les bras porteécran sont plébiscités en situation de flex office. Les équipements transportables du bureau à la maison sont aussi très appréciés, tels les supports pour ordinateurs portables, idéaux pour éviter les douleurs dans le cou et les épaules.

Fellowes a ainsi lancé un nouveau modèle Hylyft en début d’année, qui rencontre un grand succès auprès des entreprises. La tendance est identique pour les claviers et souris déportés, plébiscités par des collaborateurs en perpétuel mouvement. Et la tendance est plutôt à la montée en gamme de ces équipements : « D’accessoires ergonomiques basiques et peu design, les entreprises évoluent vers des produits plus beaux, volontiers en bois et qui proposent de la couleur », observe Tiphaine de Reals, directrice marketing France chez Fellowes.

 

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« Emotions positives »

Désormais appréhendée comme un ensemble, l’ergonomie repose aussi bien sur les qualités intrinsèques des équipements que sur leur capacité à procurer des émotions positives aux collaborateurs. Face à la « concurrence » du télétravail, le bureau se doit d’être plus attractif que jamais. « Nous sommes à un moment charnière, souligne Sandra Garcia, consultante en recherche appliquée chez Steelcase. Une majorité d’entreprises s’orientent vers une organisation hybride du travail avec un mix entre home office et bureau. Dans ce contexte, si les espaces individuels reculent face aux espaces collaboratifs, ils ne vont pas non plus disparaître, car on ne peut pas complètement opposer domicile et bureau, concentration et collaboration. »

Pour autant, l’ergonomie est encore loin d’être un sujet naturel dans toutes les entreprises. Chez Preventech, Marjorie Dumont-Crisolago constate le retard français par rapport au monde anglo-saxon et rappelle que, depuis le début de la crise sanitaire, « peu d’entreprises ont accompagné leurs collaborateurs en situation de télétravail. » Chez Neo Forma, Yannick Benet se montre plus optimiste et signale un début de prise de conscience : « Au début de la crise, l’accent a été mis sur l’hygiène. Maintenant qu’on sait que le télétravail devient la norme, les entreprises l’intègrent de plus en plus dans leur stratégie et sont demandeuses de conseils en ergonomie.»

Orientation BtoC

Plus prosaïquement, les freins à l’équipement des télétravailleurs sont aussi légaux. « Fournir un siège ou un bureau à domicile peut être considéré comme un avantage en nature, rappelle JeanLuc Arab, directeur commercial France chez Humanscale.

En conséquence, les entreprises préfèrent souvent accorder un budget et rembourser des notes de frais pour éviter les risques de redressement. » Conséquence de ce désengagement, les salariés non accompagnés par leur employeur ont tendance à s’équiper eux-mêmes en matériel professionnel. Selon une étude réalisée par Fellowes en novembre 2020, 65 % des salariés ont dû payer leur propre équipement de bureau à domicile, pour un montant moyen de 974 euros. Avec une conséquence inattendue : la crise sanitaire incite certains fabricants à se tourner vers le marché BtoC. Steelcase, par exemple, propose depuis février un choix restreint de chaises de bureau directement accessibles au consommateur final. Du jamais vu pour la marque américaine. Chez Humanscale, JeanLuc Arab signale également un afflux de demandes de la part de personnes utilisant les produits de la marque dans leur entreprise. « Nous sommes sensibles à ces marques d’intérêt, mais nous les renvoyons vers les sites Internet de nos distributeurs, car nous conservons un positionnement intégralement BtoB », explique-t-il.

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À défaut d’être ergonomiques, les poufs, sofas et autres banquettes qui fleurissent dans les espaces de vie des entreprises contribuent au bienêtre émotionnel des collaborateurs. Le soft seating est particulièrement apprécié dans les zones de concentration en ce qu’il permet de rompre momentanément avec le bruit ambiant des open spaces. Il est également propice à la détente et aux échanges informels. « Le confort au travail ne tient pas seulement à la posture, mais aussi à l’environnement et à la qualité des interactions entre collaborateurs », explique Sandra Garcia, consultante en recherche appliquée chez Steelcase. Bien sûr, pas plus qu’un siège classique, ces assises molles n’ont pas vocation à être utilisées toute la journée. « L’ergonomie du poste de travail reste un élément prédominant dans la prévention du ressenti douloureux, mais à partir du moment où une personne se sent bien dans une position, elle peut la conserver sous réserve d'une alternance régulière, souligne Bruno Corbin, consultant ergonome chez le Groupe JLO.

Le problème n’est pas la qualité des courbures, c’est le manque de mouvement prolongé. Or, sur un canapé, on change bien plus souvent de position que sur un siège de bureau et l’on peut moins souffrir de douleurs grâce à cette alternance de positions. »