Sur un marché mature et concurrentiel, les distributeurs font progressivement évoluer leur modèle vers des prestations axées sur le service. Retour sur les temps forts de la table ronde organisée sur le sujet par Info Buro Mag.
« Pendant des années, les distributeurs de fournitures et équipements ont établi des catalogues offrant un certain nombre de gammes », se souvient Agnès Maillard, directrice du réseau Calipage. « Aujourd’hui, notre logique s’est inversée. Nous partons du besoin du consommateur, le responsable achats et l’utilisateur final ! Cela nous a poussé à opérer une véritable transformation dans notre organisation ». Yves Salaun, dirigeant des entreprises Facility et L’.lmpression SAS, abonde dans ce sens, ajoutant que « sur ce secteur auquel on reconnaît peu de valeur ajoutée, l’enjeu des leaders du BtoB est de miser sur la qualité de service. Si nous devons tous vendre le même stylo à 14 centimes, c’est le service, automatiquement, qui fera la différence ». D’autant que, comme le souligne Franck Douau, responsable pôle achat et services généraux chez LVMH et président de l’Aca (Association du Cesa Achats & supply chain), « même s’il y a toujours de nouveaux produits à négocier, d’un point de vue tarifaire, les acheteurs ont déjà fait le travail ». A une logique industrielle se substitue donc désormais une logique de servicialisation, qui implique non seulement d’apporter des solutions, mais également de proposer de nouveaux services.
Conseiller sur la valeur d’usage
Pour Ludovic Loy, le premier service rendu par le distributeur est la sélection des produits proposés en ellemême, mais aussi le conseil qui l’accompagne. « C’est aussi cela, le rôle du distributeur: expliquer l’intérêt, le bénéfice client apporter par le produit. Beaucoup d’entreprises ont besoin d’être guidées sur ces sujets-là. Faire preuve de pédagogie permet également de valoriser certaines nouveautés, ou d’attirer le client vers une famille de produits spécifique ». Pour Amélie Véron, responsable d’Amazon Business France, valoriser l’usage passe aussi par les commentaires visibles, sur lesquels le pure player capitalise: « récolter une cinquantaine de retours utilisateurs sur tel ou tel produit va au-delà de l’avis personnel ; ils permettent aux autres de s’identifier ». Un processus évidemment différent suivant qu’un acteur BtoB opère uniquement sur Internet ou en multicanal, note Agnès Maillard, « le magasin étant un lieu de prédilection pour tester le produit en réel, d’où la force d’une offre multicanale ».
Ainsi, la question du bénéfice utilisateur interne, de la valeur ajoutée du produit et de son usage commence à se faire une place dans le discours des distributeurs, et même dans les catalogues. Bien qu’une prise de conscience collective sur ces questions ne semble pas à l’ordre du jour, certaines entreprises clientes ont tout de même réfléchi à la question. Ainsi, Metro Cash & Carry revoit actuellement entièrement sa politique de distribution de fournitures auprès de ses salariés. « Jusqu’à maintenant, les collaborateurs descendaient directement dans l’entrepôt où sont vendus ces articles aux clients professionnels, et les prélevaient. Nous sommes en pleine réflexion pour revoir notre stratégie et passer par un distributeur qui livrerait directement les collaborateurs et nous permettrait d’avoir une meilleure visibilité à la Direction des achats indirects, notamment en termes de suivi et reporting … Mais l’objectif est aussi et surtout d’améliorer la qualité de service et l’expérience client des utilisateurs internes ! Ce sera pour eux bien plus confortable et finalement valorisant puisque leurs besoins seront traités par l’entreprise, avec la considération qu’ils méritent. Si nous nous sommes lancés dans cette démarche, et plus globalement dans une refonte de nos services aux collaborateurs, c’est parce que nous sommes convaincus qu’un collaborateur satisfait est un collaborateur plus productif! », relate Sandra Lévy, Acheteur Chef de Marché au sein de l’entreprise. Sur ce marché, nous sommes toutefois encore bien loin du chemin parcouru par exemple par les fabricants de mobiliers, qui ont su surfer sur la vague du bien-être au travail pour s’imposer non plus comme des postes de dépense non stratégiques mais comme des solutions participant à un environnement de travail générateur de valeur ajoutée, tant en termes de performance que de productivité ou même d’attractivité … « Des études consommateurs tendent à démontrer que de plus en plus de salariés considèrent également qu’avoir de bonnes fournitures est un moyen de bien travailler, synonyme de reconnaissance et de considération », relate Agnès Maillard chez Calipage. Mais le discours en la matière reste à travailler.


Une dynamique servicielle
Par services, Ludovic Loy, directeur marketing de Bruneau, entend également efficacité. « Notre positionnement n’est pas forcément de garantir le prix le plus bas, mais le prix juste, tout compris, pouvant garantir un niveau de service optimal en lien avec le besoin d’efficacité des clients. Par efficacité, j’entends passer le moins de temps possible sur une commande, obtenir rapidement les réponses à ses questions, etc. ». Alors que la préoccupation première du distributeur est « de faire gagner du temps » aux entreprises, l’objectif est donc bien de proposer le panel le plus large possible de solutions. « Parcours fluide, systèmes de facilitation des commandes, de suivi de dépenses, de connexion/validation à distance sur PC et mobiles … la rapidité est devenue un standard, comme la livraison en 24 h, que la VAD traditionelle a été la première à initier », souligne Ludovic Loy. Tous s’accordent également sur l’importance de la qualité du service au moment de la livraison. « Toutes les sociétés ne livrent pas forcément à l’étage par exemple, sinon avec des surcoûts très importants », prévient Yves Salaun. « Or, ce/a génère une charge supplémentaire côté client et de potentiel dysfonctionnements.
Dans nos métiers, certains décident d’externaliser, d’autres d’internaliser. Cela fait indéniablement la différence, surtout en région parisienne ». Un service stratégique donc … malgré le surcoût qu’il génère et son manque de rentabilité.
Offrir le droit à l’erreur
Se sécuriser dans ses achats et avoir le « droit à l’erreur», constitue également l’un des services les plus attendus des clients. Pour Agnès Maillard, cette habitude a été importée du marché BtoC. Ludovic Loy explique quant à lui que l’enjeu est de taille : « dans le BtoB, on ne gère pas une commande isolement, on gère avant tout un client et tous ses besoins. Cela fait partie des règles du jeu ». Autre pratique notable issue du BtoC appliquée au BtoB, rapporte Agnès Maillard : le « clic & collect ». « Nous constatons un fort développement de cette tendance, qui consiste à commander sur Internet puis à récupérer le colis en magasin physique. Cela rassure les acheteurs, en particulier sur les produits nécessitant du conseil ». Une pratique nouvelle, qui encourage l’acheteur à échanger, ou laisser le produit sur place.« Ce service peut avoir un coût, rebondit Yves Salaun, mais dope l’offre de nouveaux services ».


Digital et influence du BtoC
Côté services attendus, bien sûr, la présence multicanale est devenue un élément majeur. Il est appréciable de pouvoir se renseigner, choisir et acheter tantôt sur catalogue, en magasin ou sur la toile. « On assiste à une sorte d’hybridation du marché », constate Emmanuelle Beauvais, chargée de communication et de commissions métiers à la Fédération Eben, qui regroupe 10 000 entreprises du bureau et du numérique en France.« De plus en plus distributeurs décident de créer leur boutique Internet, et font appel à nous pour obtenir des outils juridiques notamment ». Rappelons que le web est devenu progressivement le premier canal d’achat : de 30 % en 2014, les achats en ligne sont passé à plus de 55 % des achats totaux en 2017, selon l’étude Forrester « Make your B2B business a digital business ». Et ce sont les acteurs du BtoC qui ont modelé les habitudes des consommateurs: gamme de produits et de services étendue, aide aux achats par recommandation, reconnaissance du client, processus d’achat simplifié, etc. sont devenus la norme, le standard attendu. La responsable d’Amazon Business France le rappelle; la « version pro» du site marchand s’est lancée en 2015 dans ce contexte : « Les entreprises savent qu’il est possible d’acheter en 3 clics sur Internet en étant livrées le lendemain, d’avoir les informations inhérentes au parcours colis, etc … un parcours en décalage par rapport aux processus achats actuels qui créent des frustrations énormes. Nous nous sommes donc adaptés aux demandes des entreprises qui achetaient déjà sur le site, en développant pour eux des fonctionnalités spécifiques, servant leurs besoins en termes de visibilité, de tracking, etc. ». Soulignant que 74 % des décideurs BtoB plébiscitent Internet pour leurs achats (étude Forrester), Amélie Véron évoque avant tout la praticité du canal digital, à laquelle s’ajoutent, selon ses retours clients, la visibilité sur les tarifs, la sélection, la clarté et le prix unique; la transparence/simplicité d’achat, et enfin la réduction des coûts d’achat.
Concernant l’expérience d’achat, la responsable est catégorique:« les achats de classe C sont en train de vivre ce qu’il s’est passé il y a une vingtaine d’années dans le Voyage. À l’instar de ce domaine qui a profité d’outils permettant aux utilisateurs d’affiner leurs préférences, les acheteurs de fournitures commencent à profiter d’une meilleure sélectivité ».
Mais si côté travel, les salariés peuvent désormais prendre les choses en main et organiser eux-mêmes leurs voyages, côté fournitures, peu de politiques similaires sont mises en place. « Des solutions existent et permettent de définir des profils de collaborateurs ayant accès à certains types d’achats en direct, avec validation ou non du service achat à partir d’une certaine somme. Mais les entreprises n’ont pas encore beaucoup avancé sur ces questions et bien peu ont d’ores et déjà mis en place de ce genre de solutions », reconnaît Franck Douau. « Mais le marché a assurément une belle carte à jouer avec le digital, qui constitue un attrait assez fort chez nos clients internes ».



Vers des contrats de services ?
Développer des plateformes toujours plus ergonomiques, intuitives et paramétrables pour s’adapter aux besoins de chacun, prendre le temps de conseiller, livrer à l’étage, offrir le droit à l’erreur … Dans tous ces cas, on touche à une question sensible : celui du coût des services et de sa répercussion ou non sur la facture finale. Car si les distributeurs misent sur eux pour satisfaire leurs clients, se différencier, fidéliser, etc., ils avouent également peiner à les valoriser. Ce qui les rend bien peu rentables, alors même que les distributeurs confient tous être à des niveaux de marges assez bas.
À l’aune de l’ère servicielle, est-il aujourd’hui permis d’envisager l’avènement de nouveaux types de« contrats de services» entre acheteurs et distributeurs ? D’imaginer un engagement sur 5 ans, par exemple, englobant un ensemble de prestations de bout en bout du parcours produit, qui reposerait sur une expertise, une confiance mutuelle ? Yves Salaun estime que les choses se mettent en place : « Nous réfléchissons à des contrats, type leasing, pour numériser mensuellement le coût. Mais cette méthode anglosaxonne mettra du temps à s’imposer en France et nécessitera une parfaite connaissance du client et des profils de ses collaborateurs ». Une chose est sûre, la distribution a entamé sa mue et nous réserve encore des surprises. Rendezvous pris dans quelques années, où le recul permettra d’analyser plus aisément les résultats des nouvelles stratégies actuellement avancées sur l’échiquier.