
La crise sanitaire et l’avènement du travail hybride ont définitivement rebattu les cartes pour les fournisseurs de services et de solutions d’impression. Passé la première phase d’équipement de « survie » des confinements et les balbutiements du télétravail, les fabricants sont désormais engagés dans un second mouvement de rationalisation. « Les entreprises ont eu deux ans pour cerner les habitudes et les besoins d’impression de leurs collaborateurs », observe Florent Charles, responsable marketing chez Epson France.
« Les entreprises ont eu deux ans pour cerner les habitudes et les besoins d’impression de leurs collaborateurs », Florent Charles, Epson.
Après l’effondrement des ventes de matériels depuis le début de l’année 2021, avec des baisses trimestrielles de volumes atteignant près de 20 %, le marché européen retrouve des couleurs selon le cabinet IDC. En France, la diminution globale des ventes au deuxième trimestre 2022 n’était que de 2,9 %. Des contreperformances qui s’expliquent selon le cabinet par les problèmes de logistique et de pénuries. Les constructeurs se seraient globalement orientés sur la production d’imprimantes A4 monochromes, plus simples à fabriquer en nombre que les équivalents couleur et les multifonctions. Durant cette période, les acteurs qui disposaient d’une offre sur le BtoC ont toutefois tiré leur épingle du jeu grâce à l’équipement massif des particuliers. « Le taux d’équipement des foyers en systèmes d’impression est passé de 66 % à 77 % : le marché est établi. La demande se situe désormais davantage autour de la mise à disposition de services d’impression », constate Fabien Da Col, directeur de la catégorie solutions d’impression chez HP.
Les possibilités du smartphone
Applications de domotique pour les bureaux, monitoring de la flotte de téléphonie, modélisation en temps réel de l’occupation des espaces de travail, réservation de salles de réunion, messagerie d’équipe… Si les experts de l’environnement de travail s’intéressent aujourd’hui aux possibilités qu’offre le smartphone c’est parce que l’objet est profondément ancré dans notre quotidien. Le monde de l’impression y voit également aujourd’hui des perspectives pour fluidifier et personnaliser l’utilisation de leurs systèmes et de leurs services. « La technologie d’impression mobile existait déjà avant la pandémie mais elle avait surtout un rôle de démonstration, il n’y avait pas de marché. La situation a changé depuis, elle commence désormais à être utilisée dans les tiers lieux en tant que solution d’identification et d’impression plus rapide et intuitive », explique Benjamin Claus, directeur marketing et communication chez Kyocera.
Les acteurs du secteur entendent donc encourager l’usage intuitif du smartphone pour en faire une interface de services déportée de leurs machines et adaptée au travail en mobilité.
Installer le print as a service
Avec le retour au bureau et la mise en place du travail hybride, les entreprises cherchent dorénavant à optimiser leur parc d’équipements. « À l’image des grandes structures, les TPE – PME repensent aussi leur modèle. Il n’est pas forcément nécessaire d’équiper tous les salariés chez eux, ils doivent pouvoir profiter de l’impression par badges ou via le cloud lorsqu’ils reviennent au bureau », détaille Florine Darmon, responsable marketing chez Konica Minolta. L’occasion pour les acteurs du secteur de faire valoir leurs offres de Managed Print Services (MPS) et de libérer les DSI de la contrainte de gérer les infrastructures d’impression (hébergement des serveurs, maintenance, livraison de consommables, mises à jour, etc.). Une évolution renforcée par l’avènement des aménagements hybrides. La tendance consiste désormais plutôt a mettre à disposition des points d’impression avec du matériel partagé, parfois plus compact et mobile, sur lequel il est possible de lancer des travaux de manière tracée et sécurisée. Certains fournisseurs de solutions ont également prévu des contrats ou des clauses spécifiques adaptés lorsque l’utilisateur travaille en dehors du bureau. C’est le cas de HP avec FlexWorker qui permet d’intégrer le poste d’impression à domicile des salariés dans le contrat MPS. Brother a quant à lui lancé EcoPro début septembre, un système d’abonnement mensuel sans engagement. L’offre comporte la commande et la livraison automatique à domicile des cartouches d’encre et de toners, la garantie de l’imprimante ainsi qu’un retour gratuit des consommables usagés pour réutilisation ou recyclage.

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Cette table ronde réunissant les professionnels du secteur de l'impression s'est déroulée dans l'espace Startway à Paris XVIIIe
Évoluer avec le cloud
Dans ce contexte, le cloud représente un accélérateur de la transformation du modèle économique de l’impression. « C’est un méta système qui permet de connecter des éléments hétérogènes. Cela donne une visibilité et une capacité à agir rapidement, à distance et sans être intrusif sur le réseau du client », précise Karl Trouillon, responsable marketing des services Cloud pour Lexmark France. Point névralgique qui sert à déployer le panel des offres de MPS, le cloud a fait basculer les spécialistes du document dans un modèle de souscription. Un système plus flexible et efficace pour le fournisseur autant que pour l’entreprise. « Cela nous permet d’ajouter ou de retirer des briques facilement afin de mettre à disposition une solution personnalisée. Cette flexibilité nous donne la possibilité d’aller plus loin ou de faire marche arrière en cas de besoin », détaille Florent Charles d’Epson. Pour les acteurs du secteur, le défi est de s’intégrer à l’écosystème numérique complet, appelé aussi digital workplace, sur lequel travaillent les collaborateurs. Un mouvement global que souligne le dernier rapport de Quocirca en 2022* : 43 % des entreprises ont déjà mis en place une plateforme de gestion de l’impression dans le cloud et 20 % des entreprises prévoient que leur infrastructure IT passe complètement dans le cloud d’ici 2025.
* Étude conduite auprès de 4 pays (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne)
Sécuriser les données
Avec la multiplication des plateformes, des logiciels, des fonctionnalités et du nombre de matériels reliés au cloud, la sécurité des données est devenue une question centrale. Selon le rapport de Quocirca « Print Security Landscape 2022 », la sécurité des flux documentaires est l’un des points sur lesquels il est nécessaire de continuer à progresser. En effet, 68 % des entreprises rapportent une perte de données liée à l’impression au cours de 12 derniers mois.Toujours selon Quocirca, 42 % des organisations qui ont recours à des MPS sont néanmoins plus confiantes dans la capacité de leur fournisseur à assurer la protection de leurs systèmes. Pour les acteurs de l’impression, l’enjeu est donc bel et bien de garantir la sécurité de bout en bout sur l’ensemble de l’infrastructure d’impression grâce aux services et au conseil. « C’est d’autant plus vrai chez les PME, pour qui le cloud est à la fois une solution de sécurité et de digitalisation », constate Jean-Pierre Blanger, spécialisé dans le conseil en transformation numérique chez Documix.

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Changer de modèle
Tous les acteurs du secteur font le même constat après deux ans et demi de crise sanitaire : les utilisateurs ont appris à ne pas imprimer. En témoigne la baisse constante des volumes d’impression. Le cabinet IDC prévoit une diminution de 4,8 % par an jusqu’à 2024. Les salariés travaillent désormais davantage sur des documents dématérialisés qu’ils peuvent s’échanger par mail ou coéditer dans le cloud avec leurs équipes.
« Étant donné que notre marché se dirige vers le service, répondre aux besoins du travail hybride va au-delà de la livraison de consommables. Nous devons nous intégrer complètement dans la transformation digitale de l’entreprise », explique Christophe Steck, directeur des opérations et des services aux clients chez Toshiba TFIS.

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Signe évident de ce changement de paradigme, les fabricants ne se définissent plus comme des acteurs de l’impression mais bien comme des fournisseurs de solutions et des gestionnaires de données. « Le curseur de la valeur s’est déplacé. La mutation de notre métier implique que nous tenions un rôle de conseil et d’éducation du marché sur le document numérique, les flux de données et la sécurité », poursuit Florine Darmon.
70 % des entreprises espèrent augmenter la sécurité de leur système d’impression au cours de 12 prochains mois - Source : Quocirca, 2022
Maîtriser la vie du document
C’est une réalité pour les fabricants d’imprimantes : « Avec la généralisation du télétravail lorsqu’un utilisateur se dirige vers un copieur, deux fois sur trois c’est pour scanner », affirme Jean-Pierre Blanger. Dans ce grand mouvement de dématérialisation, les systèmes d’impression sont effectivement un outil au service de la transformation numérique des entreprises. Si l’enjeu pour les organisations est d’adapter leurs processus métiers et documentaires à ce nouveau modèle, pour les spécialistes du document il s’agit en premier lieu de répondre à des besoins de productivité. « Avant même de développer du conseil, pour la majorité des entreprises – c’est-à-dire des PME – il est d’abord question de choses simples telles que la gestion des notes de frais, des fiches de paie et des factures », constate Benjamin Claus de Kyocera. Cela passe notamment par une action que ces acteurs maîtrisent tous : la gestion des flux entrants.
« Lorsqu’un utilisateur se dirige vers un copieur, deux fois sur trois c’est pour scanner », affirme Jean-Pierre Blanger.
Tous ces processus d’imagerie permettent en effet de numériser une information qui était sur papier (de la rendre lisible grâce aux technologies de reconnaissance de caractères, etc.), de la stocker, puis de la faire circuler. Le document devient une donnée. « On pourrait penser que ce sont les experts du logiciel ou de l’automatisation qui s’occupent de la dématérialisation sortante, comme les factures par exemple. Or, nous possédons aussi le savoir-faire technique sur ce point » rappelle Benjamin Claus. Une montée en compétences que valorise Manuel Alinque, directeur des Services numériques chez Ricoh « Nous avons dépassé la traditionnelle gestion électronique des documents (GED) pour évoluer vers l’automatisation des processus métier (BPA) et la robotisation (RPA) ».
« Sur la dématérialisation, il est d'abord question de choses simples telles que la gestion des notes de frais, des fiches de paie et des factures », Benjamin Claus, Kyocera.
Se positionner comme des acteurs de la dématérialisation
L’approche des acteurs de la gestion documentaire diffère en ce sens de ces spécialistes de la BPO (l’externalisation des processus métier) – tels que Xelians, Tessi, Docaposte. « Notre force en tant que constructeurs, par rapport aux entreprises de services numériques (ESN), c’est que nous possédons le matériel qui est essentiel dans la chaîne de valeur.
« On est capable de contrôler l’entrée, le traitement du document, sa sortie et son hébergement », détaille Florine Darmon de Konica Minolta.
Dans ce domaine les stratégies varient d’un constructeur à l’autre. Certains concluent des partenariats avec des ESN et des distributeurs pour adresser les petites entreprises alors que d’autres se positionnent en guichet unique avec une solution d’ECM (Gestion du contenu de l’entreprise). Pour autant, l’enjeu reste le même : se transformer vers plus de services. « Opérer cette mutation est vital pour gérer l’intégralité de la chaîne de valeur. Le multifonction tend à devenir un outil de plus en plus transparent dans cet écosystème numérique », explique Jean-Pierre Blanger de Documix.
Se diriger vers une industrie plus « verte »
Un ultime défi vient enfin s’ajouter à la longue liste des évolutions auxquelles fait face l’industrie de l’impression : la question écologique. « La sensibilité de la population au développement durable a considérablement augmenté. Toshiba, acteur historiquement engagé dans cette démarche, a développé des gammes de solutions pour une impression raisonnée et éco responsable. J'en veux pour exemple notre gamme d'imprimantes multifonctions E-studio à encre effaçable », constate Christophe Steck.
« Nous ne vivons pas cette injonction écologique comme une pression. Elle faisait déjà partie de nos valeurs d’entreprise et nous permet désormais de valoriser ce qu’on faisait déjà », complète Manuel Alinque de chez Ricoh.
Des consommables aux appareils en passant par le papier, la logistique et les technologies d’impression utilisées, les entreprises se soucient de plus en plus de l’empreinte carbone et de la durabilité des composants qu’elles utilisent. « Dans leurs critères d’achat, nos clients vont se baser à la fois sur la politique d’entreprise du fournisseur, mais aussi sur les caractéristiques techniques et l’analyse du cycle de vie des produits que l’on propose, explique Karl Trouillon de Lexmark. Nous utilisons les fiches environnementales des produits pour déterminer de manière précise le poids de chaque étape ». Le moteur de cette attention renforcée est aussi réglementaire avec la mise en place de la loi AGEC, votée en 2020. Pour lutter contre le gaspillage et encourager à l’économie circulaire, celle-ci pousse le développement du réemploi et du réutilisable ainsi que l’incorporation de matières premières recyclées dans les produits. « Nous ne vivons pas cette injonction écologique comme une pression. Elle faisait déjà partie de nos valeurs d’entreprise et nous permet désormais de valoriser ce qu’on faisait déjà », complète Manuel Alinque de chez Ricoh.
Consolider des approches environnementales
Si les fabricants affirment tous aller dans le bon sens sur ce sujet, ils n'avancent pour autant pas d'un seul bloc à l'image du sempiternel débat sur les avantages et les inconvénients respectifs du jet d’encre et du laser qui se déplacent sur le terrain de l’écologie. De son côté Epson a réaffirmé sa position sur la technologie jet d’encre sur ses applications bureautiques. « Nous produisons en moyenne 96 % de consommables en moins que la technologie laser : quatre poches d’encre et éventuellement un récupérateur d’encre usagée seulement, précise Florent Charles. La technologie zéro chaleur permet également d’économiser 83 % de consommation électrique par rapport au laser ».
« Désormais, nos clients veulent garder le matériel le plus longtemps possible afin de pouvoir investir davantage dans nos services », Fabien Da Col, HP.
À l’inverse, HP a annoncé l’arrêt de sa gamme jet d’encre Page Wilde début 2021 et mise sur le laser rechargeable avec sa gamme d’imprimantes Neverstop. Pour les plus grosses multifonctions, le fabricant s’appuie depuis mars sur EvoCycle, une cartouche de toner écoresponsable produite à partir de plastique recyclé. Pour Fabien Da Col, il faut voir dans cette tendance au rechargeable un changement notable : « Nous sommes en pleine transformation de notre modèle d’affaires. La vente de machines et de consommables était notre principale source de revenus. Désormais, nos clients veulent garder le matériel le plus longtemps possible afin de pouvoir investir davantage dans nos services ». Une volonté qui pousse les spécialistes de l’impression à repenser le cycle de vie de leurs produits et à se tourner vers le reconditionnement et le réutilisable.
Valoriser la seconde vie
Sur ce sujet, le monde de l’impression a rarement eu bonne presse. Longtemps considérée comme une industrie polluante, elle reste régulièrement pointée du doigt par des associations comme Halte à l’obsolescence programmée (HOP) ou Right To Repair pour le manque de durabilité de leurs matériels. Si la robustesse des imprimantes professionnelles de bureau semble aujourd’hui faire consensus, l’enjeu se situe davantage sur les consommables. Dans ce domaine aussi, les approches diffèrent d'un acteur à l'autre.

© Konica Minolta
En 2021, plus de 600 systèmes d’impression multifonctions Konica Minolta ont été reconditionnés grâce au programme spécifique Second Life.
Sur l’échelle des principes de l’économie circulaire, le premier niveau consiste en effet à recycler. Une étape que respectent aujourd'hui tous les constructeurs soit avec Conibi, un service de recyclage des cartouches commun à la plupart des grandes marques, soit en mettant en place leur propre filiale comme HP. Le deuxième niveau consiste à prolonger la durée de vie du produit et de réutiliser avant de recycler. C’est par exemple ce que met en avant Lexmark dès la conception de ses cartouches, avec la possibilité de les réutiliser dix fois avant recyclage. Troisième niveau enfin, comme le veut l’adage : « le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas ». Un principe de réduction de déchets mis en avant par Epson, avec sa gamme rechargeable EcoTank, « Depuis 2010, nous avons vendu 60 millions d’imprimantes à réservoirs rechargeables. Cela représente environ 1,6 million de tonnes de consommables évités, et tout autant de transports et de système de recyclage à ne pas gérer », constate Florent Charles.
Dépasser les freins
Dans les faits pourtant, en Europe, selon l’ETIRA (European Toner & Inkjet Remanufacturers Association) le taux de reconditionnement des cartouches d’encre d’origine (OEM) ne dépasse pas 15 % sur les 350 millions d’unités vendues chaque année. Pourquoi les grandes marques peinent-elles alors autant à accélérer sur le développement durable des consommables ? « Que ce soit sur la réutilisation, le recyclage des consommables ou le reconditionnement des machines, le problème c’est la récupération auprès de l’utilisateur », répond Florine Darmon de Konica Minolta. Un souci de logistique inversé exacerbé par le télétravail car les points de collecte sont de plus en plus disséminés. Pour les spécialistes, des progrès restent en effet à faire pour que les salariés se responsabilisent et fluidifient le processus de collecte à domicile. « Il ne faut pas oublier que le déchet est la mine d’or du 21e siècle et qu’un marché économique se développe autour. Si nous ne récupérons pas, d’autres s’en chargeront. Tout l’enjeu pour nous est de trouver un modèle industriel qui soit suffisamment profitable pour que ce processus soit pérenne », analyse Karl Trouillon.
« Si nous ne récupérons pas, d’autres s’en chargeront. Tout l’enjeu pour nous est de trouver un modèle industriel qui soit suffisamment profitable », Karl Trouillon, Lexmark.
Toujours est-il que l’empreinte carbone d’une imprimante reste liée pour 74 % à l’usage. En dehors de la technologie ou de l’énergie utilisées, la consommation de papier reste le principal poste d’impact environnemental. D’un point de vue écologique, la réponse à la question « faut-il mieux imprimer un document ou le lire sur l’ordinateur ? » semble donc évidente et penche en faveur de la dématérialisation. Pourtant les acteurs de l’impression alertent aujourd’hui sur la consommation énergétique galopante des data centers. Le numérique oui, mais à condition que lui aussi soit soumis aux mêmes exigences de responsabilité.
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