Tous les feux sont au verts pour les principaux acteurs des communications unifiées qui misent sur la collaboration à distance et le cloud pour déployer leurs offres. Une opportunité pour les entreprises de bâtir une infrastructure interconnectée autour des deux piliers que sont la téléphonie et la visioconférence.

Le recours massif à la visioconférence et l’adoption de nouveaux modes de travail a suscité un engouement inédit pour les communications unifiées. Selon IDC, le marché mondial des communications unifiées (UC) a fait un bond de 29,2 % en 2020. Pour autant, « cela fait vingt ans que l’on parle de communications unifiées. Simplement, au début, on leur donnait le nom de messagerie unifiée », rappelle Pascal Lenchant, fondateur de Neoditel, cabinet de conseil spécialisé dans la gestion et l’optimisation des moyens de télécommunications des grandes entreprises.

42 % des entreprises hébergent et font gérer leurs solutions de communications unifées par un tiers

Rapport IDC, 2021

Donc rien de nouveau sous le soleil ? Le principe reste inchangé : regrouper et interconnecter les outils de collaboration. Mais c’est bien le développement du cloud qui permet le déploiement rapide de cette solution. Deux facteurs expliquent aujourd’hui le regain d’intérêt pour ce système, pourtant opérationnel depuis maintenant près d’une dizaine d’années : l’obsolescence annoncée du parc téléphonique (voir encadré) et le besoin de mobilité croissante des salariés.

Zoom sur… La fin du RTC

L’année 2022 acte définitivement la fin du réseau téléphonique commuté (RTC), soit la technologie historique de la téléphonie qui équipe aujourd’hui encore bon nombre d’entreprises françaises. L’Arcep et les opérateurs historiques ont d’ores et déjà débuté la fermeture technique de ces lignes. « L’obsolescence annoncée de ces services, et l’échéance fixée à 2025, a commencé à faire bouger certaines entreprises, mais pas suffisamment. Les spécialistes en conseil télécoms risquent de devoir jouer les pompiers lorsqu’il va falloir revoir tout le système de communication des organisations », constate Pascal Lenchant de Neoditel. Dans un contexte d’adoption massive du télétravail, cela peut constituer l’opportunité de moderniser l’infrastructure collaborative autour de la téléphonie et de la visioconférence. L’ancien serveur PABX peut donc être remplacé par l’IPBX, hébergé au sein de l’entreprise, ou chez un opérateur accessible depuis une plateforme cloud (appelée aussi centrex). Les téléphones sont ainsi raccordés au même réseau que les ordinateurs et fonctionnent en VoIP. « Les PME, sont particulièrement vulnérables face à l’arrêt du RTC puisqu’elles sont plus exposées que les grandes entreprises si elles choisissent une solution inadaptée », poursuit l’expert. En ce sens, les plateformes proposant des communications unifiées « as a service » (UCaaS) présentent souvent un avantage grâce à leurs offres flexibles, simplifiées et sans engagement.

Moderniser la collaboration en entreprise

Le télétravail généralisé a incité beaucoup d’organisations à revoir leurs modèles de collaboration à distance. De la visioconférence au partage de document, en passant par la téléphonie, « la mobilité a poussé à se libérer de la contrainte du matériel sur site, dans les bureaux ou dans les salles techniques », explique Pascal Lenchant. Certains de nos clients, qui ont adopté un modèle de téléphonie dans le cloud, ont recours à la softphonie. Récemment, un grand groupe, avec lequel nous travaillons, s’est débarrassé de tous ses téléphones fixes pour passer à l’application Cisco Jabber. De cette façon, le logiciel de téléphonie suit chaque collaborateur partout sur son ordinateur ou son smartphone, qu’il soit à domicile ou en déplacement », détaille l’expert de Neoditel.

« Il ne faut pas oublier que l’achat d’un serveur PABX, ou d’un IPBX hébergé sur site, implique des coûts directs liés à la mise en place, mais aussi des coûts indirects et récurrents » François Familiari, Zoom.

Cette approche, plus en phase avec les besoins de mobilité, revalorise l’usage et fait notamment le succès des solutions de communications unifiées « as a service » (UCaaS). Un pas de plus vers l’externalisation des serveurs IBPX chez un prestataire, qui libère de la contrainte d’un serveur sur site et permet d’exploiter pleinement le potentiel de la VoIP. Début 2021, selon Synergy Research Group, le fonctionnement UCaaS a ainsi connu un boom avec une progression de 46 %. « Auparavant, un service de communication impliquait l’achat de matériel en interne, avec l’installation de serveurs qui exigeaient un responsable technique capable de les administrer. Désormais on souscrit simplement à un service en ligne, le modèle de facturation a changé pour se recentrer sur l’usage de l’utilisateur », observe Benoît de Longeaux, chef de produit chez Onoff Telecom, opérateur de télécommunications.

Quel intérêt de passer aux communications unifiées ?

Économies, simplicité, mobilité, fonctionnalités, optimisation… l’intérêt pour une entreprise d’adopter un système UCaaS est multiple. Totalement dématérialisée, cette solution représente un avantage économique non négligeable. « Il ne faut pas oublier que l’achat d’un serveur PABX, ou d’un IPBX hébergé sur site, impliquait des coûts directs liés à la mise en place, mais aussi des coûts récurrents de maintenance, du renouvellement de matériel. Sans oublier la formation du personnel qualifié pour gérer cette plateforme », explique François Familiari, ingénieur des ventes chez Zoom. Une chaîne de coûts qui diminue avec le cloud puisque le fournisseur est responsable des mises à jour, de la sécurité, de la maintenance et de la fourniture du matériel.

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© OnOff
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« Auparavant, la gestion des services de communication était prise en charge par un DSI. Aujourd’hui l’office manager peut s’en charger », précise Benoît de Longeaux.

Autre intérêt, le côté « clés en main » de ces offres permet de simplifier la mise en place et la gestion quotidienne de la plateforme. Un atout certain pour les TPE – PME qui ne disposent pas forcément d’un département informatique. « Auparavant, la gestion des services de communication en entreprise (téléphonie, messagerie instantanée, visioconférence) était prise en charge par un DSI. Aujourd’hui on se rend compte qu’on n’a pas forcément besoin de compétences techniques pour créer et configurer les comptes des collaborateurs et des nouveaux arrivants. L’office manager, en lien étroit avec le service RH, peut s’en charger sans rentrer dans des écrans de paramétrage complexes », précise Benoît de Longeaux.

Un déclencheur de la transition numérique

Les solutions UCaaS constituent par ailleurs le socle de la collaboration à l’ère du travail hybride. Un double avantage pour le salarié autant que pour l’entreprise. « Toutes les communications et fonctionnalités de monitoring de l’entreprise sont rassemblées sur une seule interface accessible par internet depuis n’importe quel support (tablette, smartphone, PC) », explique Charlotte Nizieux, porte-parole et responsable Marketing de Zoom.

Pour Jean-Baptiste Pecchi, responsable du développement en France de Dstny, fournisseur européen de solutions de communications dans le cloud pour les entreprises, cette partie qu’il nomme « le dernier mètre client » représente même l’enjeu principal des communications unifiées pour les années à venir. « Un service de communications unifiées est évolutif. Il permet aussi d’accélérer la digitalisation d’une entreprise. Cette infrastructure est le point de départ, la base solide, sur laquelle on peut ajouter d’autres briques, connecter et intégrer de multiples applications métiers comme un CRM ».

« Toutes les communications et fonctionnalités de monitoring de l’entreprise sont rassemblées sur une seule interface accessible par internet depuis n’importe quel support » Charlotte Nizieux, Zoom.

Un marché recomposé

La bonne santé des communications unifiées tient en grande partie à l’envolée de la visioconférence et de ses principaux acteurs, à savoir Microsoft, Zoom et Cisco. « Ils sont essentiels pour le marché puisqu’ils dynamisent l’usage de ces outils numériques », analyse Jean-Baptiste Pecchi de Dstny France.

Les trois mastodontes américains bénéficient en effet de la solide implantation de leurs plateformes Teams, Meetings, et Webex dans les pratiques d’entreprises du monde entier pour déployer leurs offres. « Nous nous sommes appuyés sur notre savoir-faire en matière de vidéo pour pouvoir développer la partie téléphonie dans le cloud avec Zoom Phone. Pour adresser la dimension matérielle, on se repose sur nos partenariats avec des fabricants comme Poly ou Yealink », explique François Familiari de Zoom. À titre d’exemple, l’offre UCaaS de Zoom (Zoom United) permet ainsi de regrouper tous les services téléphonie, visioconférence et chat sous une même licence utilisateur annuelle qui va de 280 à 400 € selon les options.

Hégémonie des acteurs outre-Atlantique

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L’évolution du marché des UCaaS, observée au fil des différents Magic Quadrant du cabinet Gartner, souligne par ailleurs la façon dont ces spécialistes de la collaboration ont bousculé les traditionnels acteurs du secteur de la téléphonie. « Les entreprises américaines sont très fortes pour saisir les opportunités, être les premiers sur la balle et effectuer des levées de fonds importantes. C’est pourquoi des entreprises comme RingCentral, ou Cisco investissent beaucoup de ressources en France et dans le sud de l’Europe », observe Pascal Lenchant de Neoditel.

« Un service de communications unifiées est évolutif. Il permet aussi d’accélérer la digitalisation d’une entreprise » Jean-Baptiste Pecchi, Dstny.

En quelques années, les mastodontes américains ont été propulsés à la tête du marché des UCaaS en consolidant leurs offres basées sur le cloud et en construisant des passerelles avec d’autres services comme la visioconférence ou la messagerie d’équipe. Les spécialistes de la téléphonie, avancent quant à eux en ordre plus dispersé, avec des offres variées dont le positionnement est plus difficile à cerner. Mitel a ainsi développé la solution MiCollab mais a perdu du terrain entre 2016 et 2021 sur le classement établi par le cabinet américain Gartner. En 2020, un protagoniste comme Orange, avec Orange Business Services, est quant à lui complètement sorti de la liste des principaux acteurs. « Leur cœur de métier était la conception, la vente et la maintenance de matériel et de lignes téléphoniques. Alcatel, Avaya, Siemens, Mitel, Orange… tous ont dû évoluer vers un métier tout à fait différent, celui d’éditeur de logiciel… ce qui est la spécialité des Microsoft, Zoom et consorts », développe le dirigeant de Neoditel.

Entrée en lice des quelques nouveaux fournisseurs

En vue de devenir des alternatives aux géants américains, plusieurs nouveaux acteurs européens se sont aussi lancés sur le marché avec des offres différentes. En partant d’une feuille blanche, et profitant du retour d’expérience et des dernières évolutions du marché, l’éditeur français Ring Over s’est ainsi fait une place en Europe et à l’international (implantations en 2021 à Londres, Barcelone et Atlanta) et balaye d’ores et déjà un large éventail de services collaboratifs.

« Les acteurs de la téléphonie ont dû évoluer vers un métier tout à fait différent, celui d’éditeur de logiciel » Pascal Lenchant, Neoditel.

Stratégie un peu différente pour Onoff qui a développé sa solution business en 2019. Numéros personnel et professionnel sur un même smartphone, intégration avec une plateforme CRM, synchronisation avec Teams, l’opérateur cible son offre sur les PME. « Il existe vraiment une différence entre les grands groupes et les petites entreprises dans la manière d’appréhender les solutions cloud. C’est sur ce segment que nous avons une carte à jouer, en travaillant de concert avec les principaux éditeurs de logiciel », note Benoît de Longeaux, chef de produit chez Onoff Telecom.

Vers une consolidation

Les acteurs, capables de déployer une plateforme complète ne sont cependant pas nombreux en raison du seuil d’investissement élevé pour disposer d’une solution multicanale. La tendance est plutôt à la concentration des fournisseurs. Le spécialiste de la collaboration Fuze a ainsi été racheté par l’américain 8x8 pour 250 millions de dollars, faisant ainsi grossir le panel de services proposés par l’entreprise. En Europe, en l’espace de trois ans, plusieurs opérateurs issus de France (OpenIP), Belgique, Pays-Bas, Suède et Danemark se sont réunis sous la bannière de Dstny. Un regroupement en vue de concentrer suffisamment de services et ainsi disposer d’une plateforme UCaaS comme alternative aux solutions américaines. En 2021 le groupe a notamment acquis, auprès de Mitel, l’entreprise Telepo, éditeur de solutions UCaaS, ce qui lui a permis de lancer officiellement Dstny UCaaS en juin 2022. Pour conserver leur place sur le marché français, Dstny mise sur la vente en direct avec les ETI et la vente indirecte pour les plus petites entreprises en s’appuyant notamment sur un réseau de 1000 partenaires. « Une PME qui n’a pas forcément de département technique en interne, va souvent faire appel à un expert local intégrateur ou MSP [Managed Service Provider, ndlr], qui joue en fait le rôle de DSI sous-traité, explique Jean-Baptiste Pecchi de Dstny France. Là où des grands acteurs ont tendance à faire de ces intermédiaires des distributeurs, nous leur proposons plutôt d’acheter nos produits en marque blanche pour qu’ils puissent ensuite les vendre, en leur nom, à leurs clients ». Un positionnement qui diffère de celui des gros fournisseurs de solutions UCaaS, qui se déploient facilement dans les grandes entreprises, mais qui peinent encore à pénétrer le marché des TPE – PME.

34.2% c'est la part de marché des UC capté par Microsoft en 2020 - Etude IDC 2021

Quid des spécialistes asiatiques des télécoms ?

Si les spécialistes américains étendent aujourd’hui plus rapidement leur stratégie dans l’Hexagone, et sur le continent européen, existe-t-il une possible concurrence asiatique à venir sur le secteur des communications unifiées ? Déjà omniprésente sur le segment hardware, avec Huawei, la Chine est à ce jour la seule puissance à disposer d’un ancrage UC en France avec le service proposé par China Telecom. « Niveau technologique, les entreprises de télécoms chinoises sont très évoluées, note Pascal Lenchant de Neoditel. Cependant leur marché intérieur est tellement vaste qu’il faudra probablement quelques années avant qu’ils ne doivent se concentrer sur l’extérieur du pays pour grandir ».

Le sujet sensible de la sécurité mobile

Avec le phénomène de mobilité des collaborateurs et les connexions multiples au cloud, la question de la sécurité des smartphones, plus épineuse que celle des PC, a été remise sur la table. De fait, le smartphone est encore trop souvent le parent pauvre de la sécurité. De nombreuses entreprises, de toutes tailles, ne disposent pas d’une charte de téléphonie claire, si toutefois elles en ont une, alors qu’elles ont une charte informatique détaillée… ce qui interroge en pleine ère du travail hybride ! « À l’époque de BlackBerry, tout était plus simple : les mobiles ne coûtaient pas cher, brassaient peu de données et tout était sécurisé par le serveur de BlackBerry, une plateforme MDM (Mobile Device Management), se souvient Pascal Lenchant. Lorsque les déboires ont commencé pour l’entreprise canadienne au début des années 2010, les entreprises se sont équipées en iPhones et smartphones Android. Elles ont évolué pendant près de 10 ans sans vraiment sécuriser les données et les contenus. » Avec un écosystème ouvert, qui repose sur les applications, et des systèmes d’exploitation très vulnérables remplis de failles de sécurité, ce type de smartphones est très exposé aux cyberattaques et au vol des données.

Un sujet sécuritaire sur lequel Microsoft aurait pu être compétent fort de son expérience historique sur ses systèmes d’exploitation. Pour Jean-Baptiste Pecchi de Dstny, les années 2000 à 2020 marquent l’échec du géant du logiciel à se positionner sur les OS mobiles : « Avec un OS aussi répandu et intégré que Windows, c’est incroyable que Microsoft n’ait pas réussi ce pari. Ils ont depuis corrigé le tir, mais à l’époque ils n’étaient pas encore dans la démarche collaborative et ouverte qu’ils ont aujourd’hui ».

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