Confrontés à la transformation des entreprises et des modes de travail, les poids lourds des fournitures de bureaux accélèrent eux aussi leur mue. Catalogues personnalisés, stratégie omnicanale, livraison rapide au domicile des salariés… ils s’adaptent aujourd’hui pour répondre à de nouveaux besoins en plaçant le service au client au centre de leur offre de valeur.

Si l’année 2020 était à marquer du sceau noir du Covid-19 pour les fournituristes et spécialistes de la vente à distance, 2021 a donné des signes encourageants liés à la pérennisation du travail hybride. Rythmée par les confinements, la première année de la pandémie avait fait chuter la consommation de fournitures classiques au bureau. Pour les distributeurs, la vente de produits d’hygiène et d’équipements pour le home office prenait le relai en urgence. Elle a même permis à certains acteurs d’amortir le choc : « En mars dernier, notre chiffre d’affaires était en recul de 50 % et nous sommes néanmoins parvenus à l’équilibre en fin d’année », confiait Jean-Louis Coustenoble, directeur général de JPG, à la rédaction d’Info Buro Mag en janvier 2021. Un bilan porté notamment par la progression des achats BtoB liés au télétravail.

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© JPG
Le showroom de JPG a été conçue pour présenter des produits dédiés au travail hybride.

Une modification des comportements d’achat

Un an plus tard, le changement est notable : « Il n’y a plus l’effet boom du début mais on observe une consommation beaucoup plus régulière des produits home office, petits destructeurs de documents, imprimantes et consommables, webcams, micro-casque, carnets, constate désormais le directeur général de JPG. Depuis la généralisation du télétravail, les salariés ont changé d’état d’esprit et assimilé le fait que ce fonctionnement allait se prolonger pour les années à venir : ils veulent donc un véritable espace professionnel lors du travail à la maison, avec du matériel de qualité ».

 

« Dans les faits, les grandes ­entreprises qui ont mis en place un ­système d’approvisionnement pour faire livrer leurs salariés restent très marginales » Jean-Louis Coustenoble, JPG

 

Pour les fournisseurs, l’objectif est donc de vite s’adapter à cette réalité du travail hybride où le salarié, plus mobile, oscille entre télétravail et retour au bureau. Les besoins ont évolué. D’un côté, les entreprises repensent leurs espaces et adoptent des modes d’aménagement plus flexibles qui nécessitent du mobilier adapté – ce qui fait notamment le succès des ventes liées à l’ergonomie. À ce titre Bruneau a mis l’accent sur son service déjà existant. « Avec Bruneau Aménagement, une équipe est spécialement dédiée à la réalisation, la livraison et le montage de mobilier », souligne Nicolas Potier, directeur général du groupe. De l’autre, elles s’équipent de technologies pour s’assurer de la qualité et de l’efficacité des réunions hybrides et du travail en mobilité : solutions de visioconférence, enceintes, micro-casques, webcams, écrans secondaires, etc.

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© JPG

L’enjeu pour les distributeurs est bien aujourd’hui de capter cette demande qui a en grande partie profité au réseau BtoC au début de la crise. « Dans les faits, les grandes entreprises qui ont mis en place un système d’approvisionnement pour faire livrer leurs salariés restent très marginales […] Selon une de nos enquêtes, 25 % des organisations avaient accompagné leurs collaborateurs en télétravail en 2020. Elles n’étaient que 30 % un an après », constate Jean-Louis Coustenoble du côté de JPG. Premier pari pour les acteurs de la fourniture de bureau : sensibiliser les entreprises aux nouveaux enjeux du travail hybride et à la nécessité de bien équiper leurs salariés.

« On ne livre pas un appartement comme le quai d’une entreprise » Antoine Compin, Manutan

 

Tous se dotent ainsi de blogs et de guides pour le conseil des achats, font des sélections de produits enrichis d’avis clients, mènent des études sur les nouveaux modes de travail pour mieux cerner les besoins des salariés et multiplient les supports de discussion (téléphone, visioconférence, chat en ligne).

Un marché européen recomposé

 

La pandémie a accéléré le démantèlement des deux anciens poids lourds qu’étaient Office Depot et Staples Solutions en Europe, appartenant depuis 2016 à deux fonds d’investissement. À partir de 2019, ils ont multiplié les transactions pour se séparer de ces activités. Un éclatement qui a profité aux distributeurs français comme Raja, Bruneau ou encore Lyreco, qui, à coup de rachats de filiales, ont pu renforcer leur position paneuropéenne. En 2019, Staples cédait ainsi quatre enseignes à Raja dont JPG et Bernard en France. Le reste de ses activités est allé au Français Lyreco à l’été 2021. La filiale française d’Office Depot a de son côté été liquidée le 28 septembre 2021. Cinquante des soixante magasins ont été repris par le groupe Alkor (Majuscule, Burolike et IoBuro). Les autres entités d’Office Depot en Europe, comprenant la vente à distance Viking et le contract, ont quant à elles été cédées à Raja et Bruneau à travers l’Europe.

 

Des modes de financement variés

Deuxième face de la même pièce : le mode de financement mis en place par les organisations va définir l’orientation du marché. Il existe aujourd’hui trois possibilités. Soit les salariés s’équipent directement comme ils le souhaitent, grâce à une prime dédiée ou, comme cela a été le cas pendant la pandémie, se font rembourser a posteriori par leur entreprise. Soit ce sont les responsables des achats qui encadrent cet approvisionnement : directement en centralisant les commandes dans les locaux avant de les redistribuer, ou indirectement en laissant les commandes être passées individuellement selon les conditions commerciales spécifiques négociées entre l’entreprise et le distributeur.

Rendre les achats plus simples, c’est à cet endroit qu’Amazon Business a choisi de placer son offre de valeur en s’appuyant sur les forces de sa plateforme d’e-commerce. « Les achats de classe C [c’est-à-dire les achats non planifiés et non négociés, ndlr] génèrent beaucoup d’activité peu stratégique. Les entreprises perdent souvent du temps à établir des contrats avec des fournisseurs ou à gérer des grandes quantités de fournisseurs pour de faibles dépenses, explique Géraldine Valenti, directrice d’Amazon Business France. Notre rôle, c’est d’intervenir pour simplifier l’acte d’achat des collaborateurs, de libérer du temps aux équipes achat, de les conseiller pour faire des économies sur les paniers et de leur faire gagner en efficacité. » Fin 2021, le géant américain s’est même associé à American Express pour créer des cartes de paiement à destination des TPE – PME afin de les aider à gérer la trésorerie. Manutan a de son côté mis en place la solution Savin’side, une fonction « cabinet consulting » pour les clients grands comptes : « Via un accompagnement, on propose un diagnostic aux clients et des solutions pour optimiser les achats », précise Antoine Compin, directeur général chez Manutan.

À savoir

La loi finances pour 2020 fait de la facturation électronique une norme en France. Initialement prévue pour la période 2023 – 2025, l’obligation d’y recourir sera mise en œuvre en 2024 pour les grandes entreprises, 2025 pour les ETI et 2026 pour les TPE – PME.

 

Plus globalement, les distributeurs recentrent leur offre de valeur autour des services et non plus des produits. Ils se placent ainsi au plus près de leur client, ils ne sont plus des fournisseurs de produits vendant de services mais l’inverse. L’approche omnicanale joue en ce sens un rôle essentiel. La possibilité de chatter, d’échanger au téléphone, et désormais en visioconférence, avec des équipes dédiées au service client reste une nécessité pour des achats spécifiques.

Une transformation structurelle nécessaire

Prérequis pour simplifier le parcours d’achat des organisations : digitalisation. Avec l’éclatement du bureau, éparpillé entre le domicile du salarié, les locaux, les tiers-lieux et lieux de passage ainsi que les entreprises qui accélèrent leur transformation digitale, le numérique est un passage obligé pour les distributeurs. L’acheteur doit en effet pouvoir effectuer une commande à l’heure de son choix, peu importe le lieu où il se trouve. « La crise sanitaire a incontestablement renforcé l’e-commerce. Alors que 80 % de nos ventes étaient réalisés par internet, nous sommes aujourd’hui montés à plus de 90 % », note Nicolas Potier. En fort développement depuis quelques années, ce mode d’achat est largement plébiscité par l’ensemble de la population française : 41,8 millions fin 2021 selon l’Observatoire des usages internet de Médiamétrie, soit un bond de 1,5 millions de cyberacheteurs par rapport à 2019 du fait de la crise sanitaire. Autre signe du succès du numérique, le nombre de sites marchands a progressé de 11 % en l’espace d’un an. Un effet qui se vérifie également dans le domaine BtoB.

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© Rapport sur l'omnicanalité dans les ventes BtoB McKinsey & Company

 

« Notre rôle c'est d'intervvenir pour simplifier l'acte d'achat des collaborateurs, de libérer du temps aux équipes achats et de leur faire gagner en efficacité »  Géraldine Valenti, Amazon Business France

 

Les ventes aux professionnels ont été dopées, pendant deux ans, par l’accélération de la digitalisation des achats des entreprises. C’est un axe autour duquel les spécialistes de la fourniture de bureau évoluent aujourd’hui grâce au digital : le mécanisme d’approbation des commandes. « De plus en plus, nous digitalisons les transactions grâce aux solutions d’e-procurement [approvisionnement en ligne] et d’EDI [Electronic Data Interchange]. En dématérialisant les commandes et les factures, on évite ainsi qu’elles passent de main en main pour être examinées… un chemin de validation qui est de toute manière rendu caduque par le télétravail », détaille Antoine Compin.

Optimiser la logistique

Autre effet de la mobilité des salariés et des habitudes d’achat en général, les personnes ne veulent plus forcément attendre d’être de retour au bureau pour aller récupérer l’équipement dont ils ont besoin. Il faut pouvoir les livrer rapidement et chez eux. Un aspect important sur lequel Amazon a placé la barre très haute avec la livraison en 24 heures, ce qui a fait son succès en période de pandémie. Une promesse de service que les autres principaux distributeurs s’efforcent eux aussi de tenir. « Nous pouvons désormais livrer partout et tout le monde en France, en 24 heures les 20 000 produits que nous stockons sur notre site des Ulis, explique Nicolas Potier de chez Bruneau.

« La crise sanitaire a incontestablement renforcé l’e-commerce. Alors que 80 % de nos ventes étaient réalisés par internet, nous sommes aujourd’hui montés à plus de 90 % » Nicolas Potier, Bruneau

 

En outre, grâce au drop-shipping (via les liaisons EDI), nous sommes capables d’acheminer rapidement sous 2 -3 jours, plus de 80 000 produits stockés chez nos partenaires tels que le grossiste TechData pour la partie IT par exemple. » Un mode de livraison et de partenariats qui permet également aux fournituristes d’élargir leur catalogue de références. Pour autant, cette question logistique se double aujourd’hui d’une réflexion de fond sur l’acheminement au domicile des salariés.

Livrer le dernier kilomètre

Le développement du home office interroge le réel intérêt de pouvoir acheminer le dernier kilomètre. « On ne livre pas un appartement comme le quai d’une entreprise », estime Antoine Compin… De fait, on imagine mal un semi-remorque de 40 tonnes sinuer dans les ruelles d’une ville. De la même manière, recevoir un carton de livraison standard pour une paire de cartouches d’encre, plutôt qu’un emballage adapté, n’a plus réellement de sens. « Nous avons beaucoup développé les interfaces personnalisées : les utilisateurs renseignent leurs adresses de livraison et peuvent passer par des workflows [flux de travaux] de validation pour que les responsables des achats approuvent les demandes », explique Nicolas Potier, de Bruneau. Un fonctionnement qui « modifie sensiblement la gestion de la base client » selon Antoine Compin. La livraison au domicile du salarié implique en effet que les distributeurs soient en mesure de penser, en amont, à la taille des paquets et à la façon de les livrer. « Depuis deux ans, un de nos entrepôts conçu en autostore, c’est-à-dire via une chaîne de production automatisée, permet de modifier la taille de l’emballage afin qu’il corresponde mieux aux dimensions du produit […] Et pour ce qui est de livrer le dernier kilomètre on est attentifs à tous les nouveaux modes de livraison qui se développent, comme par exemple celle par drone », ajoute le directeur général de Manutan.

Un chantier en péril

Pour les spécialistes de la fourniture de bureau, le sujet du travail hybride pourrait toutefois être relégué au second plan en 2022. Le coupable ? L’inflation des prix liée au coût des matières premières. Si le prix et la disponibilité des produits étaient des questions importantes en 2021, elles deviennent en effet plus critiques en 2022 et source de tensions entre les entreprises et les distributeurs. Cependant, sur le segment des fournitures de bureau, plus qu’une politique de relocalisation des achats en Europe en vue de diminuer les coûts de transport, c’est la dimension environnemental et RSE qui motive davantage les achats made in France des entreprises. Un volet écologique souligné par la dernière étude Agile Buyer, « Tendances et priorités des départements achats en 2022 », comme l’un des objectifs de 2022, notamment pour les grandes entreprises de plus de 500 salariés avec l’obligation du bilan carbone.

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© Manutan

 

Une sensibilité accrue à la RSE

Raja, JPG, Adveo, Lyreco, Amazon, Bruneau, Manutan… sur les sites commerçants, les catégories « vertes » essaiment et les produits estampillés « reconditionnés » et made in France sont de plus en plus mis en avant. En logistique aussi les emballages carton sont préférés au plastique et les distributeurs tentent de réduire l’empreinte carbone de la livraison, en ayant recours aux véhicules électriques pour le dernier kilomètre en ville. « Ce qui est nouveau, c’est l’engouement pour des thèmes sociétaux, un phénomène en lien avec la démarche RSE des entreprises. Comme c’est un sujet qu’elles prennent à cœur, les entreprises investissent aujourd’hui beaucoup sur ce volet », observe Antoine Compin. « Les membres d’Amazon Business Prime peuvent désormais utiliser un catalogue fermé pour n’acheter que des produits conformes à leurs critères environnementaux ou durables et notamment les produits signalés comme Climate Pledge Friendly », expliquait quant à lui Christopher Kallscheid, sponsor d’Amazon Business Europe en faveur du développement durable, à l’occasion de la conférence annuelle Amazon Business Exhange (ABX), le 5 octobre 2021. Même constat du côté de Nicolas Potier qui attribue la revalorisation et le succès des ventes du mobilier de bureau en partie à l’éco-responsabilité. Un signe supplémentaire qui confirme que le reconditionné et les produits remanufacturés ont le vent en poupe. Un créneau sur lequel Manutan a récemment investi, début février, en signant l’acquisition de la start-up française Zack, expert français de l’économie circulaire ciblé sur la seconde vie des produits électroniques.

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