
«L’espace efface le bruit », écrivait Victor Hugo. La citation du poète français pourrait paraître contre-intuitive pour tous ceux qui fréquentent les open spaces. Même si nous sommes aujourd’hui loin des espaces gargantuesques et des mètres linéaires de bureaux décloisonnés, à l’ambiance sonore de cathédrale, popularisés par les États-Unis dans les années 80, l’acoustique a toujours été le talon d’Achille de ces espaces ouverts. Bourdonnements, sifflements, migraines, fatigue : le bruit est parfois la source des maux qui nous assaillent pendant une journée de travail. Qui n’a jamais posé son casque ou vissé ses écouteurs dans les oreilles en montant le son pour couvrir celui des conversations de ses collègues ? Selon une étude menée par Opinion Way pour Ecophon Saint-Gobain en décembre 2021, un salarié français sur trois explique qu’il est contraint de mettre des bouchons d’oreille ou un casque pour pouvoir travailler au calme.

Depuis quelques années les cabines acoustiques ont le vent en poupe. Sur le salon Orgatec, elles ont largement été représentées parmi les 150 solutions acoustiques exposées. © Benjamin Godart
Le sujet n’est pourtant pas nouveau : en 2014 déjà, selon l’observatoire Actineo, 52 % des salariés français pointaient du doigt les nuisances sonores des bureaux ouverts. « Les sources de bruit sont multiples. Entre les coups de fils, le bruit des imprimantes qui tournent à plein régime, les réunions improvisées autour d’un café, on sait depuis des années que regrouper tout un service sur un même plateau ouvert représente un défi pour les acousticiens, observe Hugo Hardouin, ingénieur acousticien chez Peutz. Il faut travailler sur la décroissance sonore, c’est-à-dire casser la propagation du son dans le volume afin d’entendre le moins possible la personne qui est à cinq ou six mètres de son poste de travail ».
« Il faut travailler sur la décroissance sonore, c’est-à-dire casser la propagation du son dans le volume » Hugo Hardouin, Peutz.
Si les effets des nuisances sonores sur la santé et la productivité – frustration, stress, perte de motivation, voire troubles du sommeil ou cardiovasculaires à long terme - étaient déjà connus des entreprises, l’avènement du travail hybride a remis la question du confort acoustique au centre des préoccupations.
66 %
des salariés considèrent que le bruit est à l’origine de sentiments de fatigue, lassitude et irritabilité. Source : Inkdata pour JNA, 2022
Une sensibilité exacerbée
Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, il y a bel et bien eu un avant et un après Covid-19. Le télétravail est devenu un véritable refuge pour les salariés gênés par le bruit dans les bureaux. Selon l’Ifop, pour un télétravailleur sur deux, les nuisances sonores pourraient lui faire fuir le présentiel. Conséquences des confinements successifs et du télétravail forcé, les salariés de retour au bureau ont exprimé des attentes plus fortes quant à la qualité de leur environnement de travail.
Le bruit a un coût
147 milliards d’euros : c’est le coût social du bruit chaque année en France, selon une enquête du Conseil national du bruit (CNB) et de l’Agence de la transition écologique (Ademe) publiée en juin 2021. Soit une augmentation de 98,3 milliards d’euros par rapport à 2016. Des chiffres à prendre au sérieux, d’autant plus que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait, en mars 2021, à deux milliards le nombre de personnes dans le monde qui souffriront de déficience auditive d’ici à 2050. Les lieux de travail participeraient à hauteur de 14 % du montant total, soit 21 milliards d’euros par an. Une étude menée par l’Ifop pour la Journée nationale de l’audition (JNA) en octobre 2022 révèle ainsi que 66 % des Français considèrent que le bruit est à l’origine de sentiments de fatigue, lassitude et irritabilité. Un employeur sur quatre aurait ainsi proposé des casques de communications spécifiques pour réduire cette gêne tandis que seuls 22 % ont opté pour des projets de réaménagements des espaces.
Au même titre que la lumière, la température, la diversité des espaces et l’équipement technologique, l’acoustique s’affirme comme un critère déterminant de la qualité de vie au travail. « Les attentes sur l’aménagement des espaces de travail et l’environnement sonore ont énormément évolué. Il ne s’agit plus seulement de faire des bureaux fonctionnels, mais aussi de travailler la dimension du bien-être qui est devenu un facteur de rétention des talents », constate Maxime Gris, directeur du département Études de design & Project chez CBRE.
21 milliards d’euros
soit le coût social du bruit pour les lieux de travail. Source : CNB et Ademe, 2021
Isolation et correction acoustique
Si le bruit reste une notion subjective qui relève de la perception de chacun, l’acoustique repose quant à elle sur un ensemble de principes techniques et de règles objectives. « Il faut faire la distinction entre le signal utile et le signal nuisible. Il est, par exemple, nécessaire d’entendre lorsque le téléphone sonne ou qu’un collègue nous interpelle, mais on préférera éviter les bruits de portes qui claquent, de machine à café, d’imprimante qui se déclenchent, explique l’acousticien Hugo Hardouin. Notre rôle est d’identifier les sources de gêne tout en préservant une bonne compréhension des signaux utiles. »
« Il ne s’agit plus seulement de faire des bureaux fonctionnels, mais aussi de travailler la dimension du bien-être » Maxime Gris, CBRE.
Le confort acoustique conjugue ainsi isolation et correction. L’isolation acoustique a pour but d’atténuer les bruits provenant d’autres pièces et de l’extérieur du bâtiment grâce à des matériaux capables de piéger les vibrations sonores. Celle-ci se mesure en décibel (dB). La correction acoustique consiste quant à elle à maîtriser la réverbération des sons en absorbant une partie des réflexions grâce à des matériaux absorbants. Le coefficient d’absorption acoustique alpha W (αw), compris entre 0 et 1, indique l’efficacité des matériaux.

© Amico
Laisser un bruit de fond
Traiter acoustiquement un espace ne signifie pas pour autant supprimer tous les sons qui font du bureau un lieu de vie. Le bruit de fond peut parfois être un allié inattendu ! Particulièrement efficace dans les espaces ouverts, il produit un effet de masquage sonore : « le principe consiste à conserver un bruit de fond - de ventilation par exemple – continu et légèrement perceptible qui va couvrir les bruits impulsionnels éloignés comme les cliquetis d’imprimantes, les mouvements de chaise, une porte qui s’ouvre. Il diminuera également l’intelligibilité de la parole des gens qui sont éloignés », détaille Hugo Hardouin.
Afin de s’assurer que le niveau acoustique dans les bureaux reste dans la norme, entre 35 et 55 décibels (Afnor NF X35-102), le traitement s’effectue principalement au niveau du plafond, des parois et du sol. « Les matières poreuses permettent d’absorber la réverbération. Les dalles de faux plafond et de moquette aux sols sont efficaces et très prisées. Les panneaux acoustiques ou les cloisonettes composées de mousse et de tissu fonctionnent bien également. Pour l’isolation des parois au contraire, il faut des matériaux denses et étanches pour ne pas laisser passer le son », précise le spécialiste de l’acoustique.
Un enjeu de confidentialité
Les espaces fermés comme les salles de réunion nécessitent un traitement acoustique particulier. Non seulement il est fondamental de s’assurer que les sons ne se diffusent pas dans les autres pièces mais la qualité acoustique intérieure doit être également prise en compte. Faute de conception adaptée, les spécialistes de l’audio développent des solutions pour améliorer le rendu sonore lors des réunions à distance.

Laudesher construit des panneaux en bois (gamme Linea) doublés de laine de roche ayant des propriétés acoustiques reconnues © Laudescher
« Les lieux clos sont particulièrement sujets aux bruits parasites comme le larsen (sifflement électronique, ndlr), la réverbération et l’écho », observe Guillaume Le Royer, directeur de Shure France. La technologie des équipements audio peut ainsi servir de renfort sonore et pallier numériquement les problèmes de résonance. En plus de l’isolation passive, les micros et haut-parleurs sont aujourd’hui conçus pour limiter les effets indésirables. « Le rôle de l’annulation d’écho acoustique (AEC) est de traiter le signal audio du micro afin de supprimer le son provenant de l’enceinte. Le système de réduction active du bruit consiste quant à lui à produire un signal miroir pour annuler le bruit de la pièce », précise le spécialiste de l’audio.
Si l’électronique permet à court terme de limiter les effets d’une mauvaise conception, rien ne vaut un traitement acoustique pensé dès le départ pour un usage audiovisuel.
« Les lieux clos sont particulièrement sujets aux bruits parasites » Guillaume Le Royer, Shure France.
Repenser la place des espaces
« Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de juste traiter l’acoustique par la technique », considère Maxime Gris. La démocratisation de la visioconférence, a fortiori lorsqu’elle vire à la réunionite, en est un bon exemple. Fondateur de l’entreprise Acloud, spécialisé dans les produits de correction acoustique, Stéphane Demguilhem voit dans cette réalité un nouveau risque de pollution sonore : « Les bureaux ouverts n’ont évidemment pas été pensés pour gérer la visioconférence ».

© Rockwool
Comment se propage le son ?
À l’image d’un mouvement de foule, lorsqu’un objet vibre, ce mouvement se transmet aux particules d’air environnantes. La vibration créé une onde sonore (des compressions et des décompressions de l’air) qui se propage dans toutes les directions. Lorsque cette onde rencontre une paroi, plusieurs phénomènes se produisent :
- une partie de l’énergie est renvoyée vers la pièce (l’onde réfléchie est à l’origine de la réverbération)
- une partie est dissipée dans la paroi (dépend du coefficient d’absorption)
- une partie est transmise de l’autre côté de la paroi (onde transmise).
La mise en place de nouveaux modes de travail pousse les entreprises à traiter la question de l’acoustique en multipliant les typologies d’espaces. Grâce à la segmentation des usages, la distinction des lieux réservés à la collaboration de ceux dédiés au travail individuel devient vertueuse pour l’environnement sonore. « Le travail acoustique commence par le fait de positionner les espaces aux bons endroits. Lors de ces étapes de ‘macro zoning’, on analyse les flux et la circulation des personnes afin de distinguer les espaces calmes des espaces bruyants pour les implanter intelligemment, développe Maxime Gris de CBRE. Les escaliers, ascenseurs, paliers d’étages sont naturellement des zones de passage bruyantes donc autant placer à côté les lieux qui brasseront du monde comme les tisaneries et salons lounge. Ensuite, plus on avance vers le fond du plateau, plus on cherche la tranquillité et la confidentialité : on y multiplie les poches d’isolement grâce à des espaces fermés ou des cabines acoustiques ».
Des solutions esthétiques
Face à ces enjeux, l’aménageur se situe à la croisée des chemins et tient souvent le rôle d’intermédiaire entre les contraintes techniques des maîtres d’œuvre, les préconisations des acousticiens et la perception des salariés. Ils sont parfois aussi amenés à pondérer l’utilisation des solutions de corrections acoustiques en évitant de « dérouler de la baffle acoustique sans se soucier de l’esthétique des produits ». Pour Maxime Gris, le traitement de l’acoustique doit rester le moins visible possible. Autant que possible, les espaces de travail ne doivent pas être surchargés visuellement de solutions imposantes. « Le retour en grâce du rideau acoustique en est l’illustration : léger, relativement efficace et plus facile à installer qu’une cloison amovible ».
« Matérialiser par la signalétique que les collaborateurs sont dans une aire réservée à la concentration contribue à créer un cadre apaisé » Stéphane Demguilhem, Acloud.
Pour résoudre l’équation du bien-être et de la performance, la réponse se trouve donc dans le bon équilibre entre confort acoustique et esthétique. « Des principes qu’il faut accompagner de règles de vie dans l’entreprise. Matérialiser par la signalétique que les collaborateurs sont dans une aire réservée à la concentration contribue à créer un cadre apaisé », ajoute Stéphane Demguilhem. Des rudiments de savoir-vivre qui garantissent aussi que le traitement de l’acoustique ne soit pas vain.
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