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Faire du travail une valeur morale – pour la célébrer ou au contraire la dénoncer – est un contresens qui ne permet certainement pas de comprendre les transformations du monde professionnel. Découvrez l'édito du n°162 (Février / Mars 2023) d'Info Buro Mag.

Impossible depuis quelques mois d’échapper à ce débat : le travail serait en France victime d’une crise de valeur sans précédent. À l’automne 2022, deux études publiées par l’Ifop et la Fondation Jaurès sont venues documenter ce que leurs auteurs désignent comme une véritable « épidémie de flemme ». Sous l’effet notamment du Covid-19, un phénomène de « quiet quitting » (démission silencieuse) se diffuserait insidieusement dans le monde salarié. Une attitude qui consisterait à en faire le moins possible sans se faire licencier. À en croire ces études, cette grève du zèle serait avant tout l’expression d’un « ramollissement » généralisé de la population. Vingt ans après l’instauration des 35 heures, la société française aurait ainsi définitivement basculé dans l’ère des loisirs. Perdus le goût de l’effort et le sens du sacrifice dans le travail : les Français seraient davantage préoccupés par leur temps libre que par leur vie professionnelle. En plein débat sur les retraites, il n’en fallait pas plus pour que s’engage le procès en paresse de ce salariat gagné par l’oisiveté.

Depuis, les conclusions de ces études ont été largement contestées par d’autres enquêtes plus nuancées. Mais le plus surprenant reste finalement la tournure morale prise par cette controverse. La question de la « valeur travail » s’est rapidement invitée dans les médias : pour les uns, il s’agissait d’en déplorer le déclin, pour les autres, de savoir si elle était une vertu de droite ou de gauche. Dans tous les cas, le retour de ce poncif laisse songeur… Faire du travail une valeur morale – pour la célébrer ou au contraire la dénoncer – est un contresens qui ne permet certainement pas d’en comprendre les transformations. Personne ne travaille pour le travail. Et oh surprise ! Une majorité de Français préférerait être rentier plutôt que de passer plus de quarante ans derrière un bureau ou à l’usine. Le travail n’a jamais été désirable en soi et encore moins un idéal. C’est précisément la raison pour laquelle il a une valeur marchande. Pour saisir la complexité du rapport au travail, il faut commencer par le considérer pour ce qu’il est : un moyen. Y compris pour l’entreprise pour qui le labeur ne vaut qu’à la mesure de la richesse qu’il produit. Et si par chance un salarié s’y épanouit, c’est toujours parce qu’il lui trouve un sens en réalité toujours extérieur au travail. Il y a 50 ans, c’était la promesse d’accéder aux joies de la consommation et à la réussite sociale. Aujourd’hui, cette question du sens se joue sur un terrain bien plus subtil à cerner. D’où les difficultés qui se posent au management. D’où également l’importance prise ces dernières années par l’environnement de travail. Une chose est certaine : il est temps d’en finir avec cette contrebande idéologique qui consiste à faire du travail une fin en soi. Au risque sinon de passer à côté des vrais enjeux qui bouleversent le monde professionnel.

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