
Les bureaux de l'entreprise allemande Henkel DX sont entièrement équipés des modules de System 180.
Hack. Derrière ce énième terme anglophone ne se cache pas un pirate informatique mais bien un concept hérité en droite ligne du très en vogue DIY (Do It Yourself) – qui puise lui-même dans les travaux de designer italien Enzo Mari dans les années 1970. Emprunté à l’anglais to hack (tailler, couper quelque chose), la méthode du hack, un peu comme pour la cuisine ou le bricolage, vise donc à façonner plusieurs éléments isolés puis à les assembler de façon cohérente. Un principe pour lequel l’utilisateur joue un rôle essentiel puisque le résultat dépend de son objectif. À l’origine donc du « hack your space » en entreprise, les équipes créatives se sont approprié cette logique du hack, pour répondre à leur besoin de modularité. Avec pour objectif de configurer et reconfigurer un espace en fonction de la tâche à effectuer.
Le bureau « Lego »
« La demande pour le mobilier modulable existait bien avant la crise sanitaire, mais restait en majorité portée par les équipes projet et pour des espaces bien particuliers », observe Sandra Garcia, consultante en recherche appliquée en espace de travail chez Steelcase. L’offre a en effet mis du temps à se structurer. Pour élargir le concept du « hack your space » à toutes les entreprises, les experts du mobilier modulable ont profité de l’effacement des frontières entre le BtoC et le BtoB. « Nous utilisons les codes de la maison dans les collections que nous lançons depuis quelques années car les frontières entre l’environnement personnel et professionnel sont de plus en plus floues », précise Valérie Ducret, directrice de Bene France, à propos des gammes à destination des entreprises.

© Steelcase
Gamme Bivi de Steelcase
Si depuis plusieurs années les codes de la maison s’exportent au bureau, le recours au mobilier modulable restait principalement l’apanage des architectes d’intérieur pour des projets spécifiques. Aujourd’hui, avec la crise, il s’est largement démocratisé. Les entreprises qui étaient réticentes, l’envisagent désormais ou ont déjà franchi le pas. Il s’agit même d’un élément pivot pour accompagner les nouveaux modes de travail selon la note de l’Ameublement français à propos de la reprise du marché du mobilier de bureau en 2022.
« Il s’agit d’un avantage immobilier indéniable pour les entreprises. Cela leur donne la possibilité de séparer les espaces sans construire de murs » Francesco Coccia, System 180

© Bene
Gamme Pixel de Bene
Une vision que partage Pierre Christophe Prot, gérant de l’Agence Pise, responsable en France de la distribution de la marque System 180, entreprise allemande issue de l’architecture et spécialisée dans le mobilier modulable : « Nous avons travaillé avec de grands groupes comme Airbus, Danone et Carrefour spécifiquement pour des creative rooms. Les PME, acteurs de coworking et ETI, comprennent mieux aujourd’hui l’intérêt global d’une solution modulable ». En effet, dans un bureau dépourvu de ce type de matériel, toute reconfiguration donne lieu à une demande auprès des services généraux (DET, office manager ou facility managers). Le fastidieux processus administratif et logistique peut prendre du temps, ce qui empêche de facto la collaboration spontanée. « L’intérêt des structures modulables, comme celle de notre gamme Lotua, est de pouvoir diviser les lieux en petits blocs en créant des espaces éphémères de réunion, des alcôves individuelles, des rangements, etc. Chaque élément peut se déplacer facilement en quelques minutes par une seule personne », détaille Nathalie Ménardais, directrice marketing chez Sokoa.

© Sokoa
Gamme Lotua de Sokoa
Un avantage immobilier
Gain de temps, mais aussi gain d’espace car ces équipements permettent de multiplier les usages d’une même surface. « Il s’agit d’un avantage immobilier indéniable pour les entreprises. Cela leur donne la possibilité de séparer les espaces sans construire de murs », note Francesco Coccia, directeur commercial chez System 180. Une option très avantageuse pour celles, de plus en plus nombreuses, qui s’éloignent du bail classique 3, 6, 9 pour la location de leurs locaux. « Les entreprises qui ont par exemple recours au mode de bureau opéré, disposent d’espaces « clés en main » beaucoup plus flexibles. Ce type de mobilier peut être stocké ou utilisé au gré des besoins, en fonction des missions et de la taille des effectifs », explique Nathalie Ménardais.
« Dans le cas du retour au bureau, utiliser du mobilier modulable a du sens puisqu’on rend le travail et les gens visibles » Sandra Garcia, Steelcase
Changement de mentalité
Pour les organisations, la pandémie a en ce sens constitué un véritable point de bascule dans la façon de percevoir et d’utiliser les espaces. « Auparavant, on considérait que si quelqu’un n’était pas assis derrière son bureau il ne travaillait pas. Ce préjugé a depuis volé en éclat. Les collaborateurs ont plus d’autonomie et l’entreprise davantage de flexibilité puisque les espaces modulables s’ajustent à la taille des équipes », constate Valérie Ducruet. Sous l’effet d’une nouvelle organisation du travail, avec en moyenne deux jours de télétravail par semaine selon Xerfi Specific en 2021, et sous l’impulsion des modèles comme l’APW (Activity-based working ou travail basé sur les activités), le flex office ou le desk sharing, le ratio des lieux individuels et collaboratifs s’est inversé en faveur des espaces dédiés au travail d’équipe.

© System 180
System 180 a été récompensé pour son système de cloisons mobiles PartiLine à Workspace Expo 2021.
Le nombre de personnes présentes sur site quotidiennement diminue fortement. Effet yoyo : le besoin de collaboration se fait plus prégnant et le retour ponctuel au bureau a forcé les espaces à devenir polymorphes. Et surtout, les salariés apprennent à travailler autrement dans les locaux, à alterner réunion visio, discussion informelle et moment de concentration, à s’isoler ou à se déplacer régulièrement.
« Ce type de mobilier peut être stocké ou utilisé au gré des besoins, en fonction des missions et de la taille des effectifs » Nathalie Ménardais, Sokoa
Le mobilier modulable est à la croisée de tous ces chemins. « Plusieurs entreprises ont eu une mauvaise expérience de la modularité et de la flexibilité puisque leur culture ne s’est pas adaptée. La conception de ces espaces s’accompagne forcément d’une réflexion plus profonde sur l’organisation du travail », analyse Sandra Garcia de Steelcase. La question des nuisances sonores constitue à ce titre un bon exemple. Les panneaux acoustiques amovibles ont davantage une fonction symbolique d’isolation, que de véritables propriétés isolantes, c’est la sensation produite d’espace clos ou semi-ouvert qui importe. À la fois pour les salariés qui utilisent cet espace, que pour les autres. Mécaniquement, avec la sensation induite, le niveau sonore s’ajuste plus naturellement.

© Sokoa
Sokoa a pensé la solution Kulbu comme un espace de réunion éphémère. Le même support tableau blanc sur roulette sert de rangement aux assises.
Un enjeu d’image
« Aujourd’hui, le paradigme c’est de penser que la réunion a forcément lieu dans un espace clos, alors qu’elle peut totalement se tenir dans un espace ouvert ou semi-ouvert. Dans ce cas, le retour au bureau a du sens puisqu’on rend le travail et les gens visibles. On s’affranchit des murs pour créer de la vie dans les locaux », développe l’experte de Steelcase. Voici probablement l’une des promesses sous-jacentes du mobilier modulable et du « hack your space » : créer des espaces qui vivent par leurs usages. Et ce faisant, renforcer le sentiment d’appartenance du collaborateur à une communauté et, par extension, à son entreprise.
Un concept poussé à l’extrême

© Hampus Berndtson
En 2019, le géant du mobilier suédois Ikea rénovait son centre d’innovation, le fab lab Space 10, pour concevoir des bureaux reconfigurables, capables de s’adapter et de se transformer. L’ensemble des éléments composant l’espace devenant ainsi modulable et entièrement mobile. Salles de réunion, studio technique, laboratoire de fabrication… Toutes les pièces peuvent se monter et démonter en fonction des besoins. Objectif pour Space 10 : stimuler la créativité et favoriser la qualité de vie au travail de ses équipes grâce à ses locaux. « Cela ne veut pas dire occuper une place avec suffisamment d’avantages pour que les gens restent, mais être simplement un endroit où les gens souhaitent se rendre », expliquait à l’époque le studio. Une phrase aux échos prophétiques, un an avant le début de la crise sanitaire qui a bousculé les codes du travail au bureau.
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