
Le baromètre Actineo 2021 confirme l’existence d’un véritable engouement pour le travail à domicile à l’échelle internationale. Comme se situe le Grand Paris dans cette évolution globale ?
Notre enquête vient confirmer qu’à la sortie de la pandémie la fréquence idéale de télétravail qui s’impose se situe en moyenne ainsi que pour la majorité des métropoles entre deux et trois jours de télétravail par semaine. Le télétravail intensif, tel que nous l’avons connu durant les confinements, reste significatif, mais pas dominant, avec des écarts substantiels selon les métropoles. D’un côté, les actifs du Grand Paris qui expriment le moins d’appétence pour un télétravail de quatre jours et plus : 19 % contre 26 % pour la moyenne des métropoles. De l’autre, le Gafa Land où 35 % des actifs se disent favorables à cette pratique. Ce qui souligne au passage qu’on se trompe lorsqu’on cherche à reproduire le modèle californien. Reste que toutes les métropoles sont engagées dans un même mouvement global avec au sein de ce mouvement des singularités. Et la spécificité française entre bel et bien dans ce déplacement paradigmatique.
On a souvent taxé les Français de conservatisme en matière d’espaces de travail. Et pourtant, votre étude montre que le flex office suscite un rejet global, y compris dans les métropoles considérées comme les plus modernes…
J'ai écrit comme tout le monde que si les travailleurs français refusaient le flex office, c’était en raison de leur attachement viscéral au bureau individuel fermé. Il existait une sorte de consensus pour voir dans l’opposition au flex l’expression d’un certain archaïsme hexagonal : les Français étaient des terriens et le bureau incarnait leur territoire, leur statut. Il fallait être au bon étage, avec la bonne exposition et le bon nombre de mètres carrés. Or, voilà que les résultats de notre enquête montrent que ce sont les travailleurs du Gafa land qui sont les plus attachés au traditionnel bureau fermé. Ce qui passe aujourd’hui pour être le plus ringard des aménagements est considéré comme l’espace de travail idéal par 43,5 % des actifs de la Silicon Valley et de Seattle. En moyenne sur les cinq aires métropolitaines étudiées, les postes attribués, en bureau fermé ou dans un petit bureau partagé, sont littéralement plébiscités avec 76 % des actifs qui en font leur premier choix. Et à l’inverse, on note un rejet massif toutes les autres morphologies d’aménagement qui s’appuient sur des postes non dédiés avec seulement 8 % des personnes interrogées qui en font leur espace de travail idéal.
Comment expliquer cet écart abyssal entre les souhaits exprimés par les actifs et le flex office pourtant présenté comme l’avenir du bureau ?
Il faut garder à l’esprit que le flex office est porté par une idéologie, aujourd’hui dominante, qui affirme que nous serions entrés dans une époque de mobilité complète, une société liquide où des individus autonomes, entrepreneurs d’eux-mêmes, géreraient leur vie et leur trajectoire professionnelles comme on gère des startups. C'est un imaginaire en partie alimenté par le modèle californien où l’élite n’aurait plus aucun ancrage territorial et institutionnel. Or s’il est vrai qu’une couche de la population évolue dans cet univers mondialisé, prétendre que la totalité des actifs vit dans cette réalité constitue, selon moi, une erreur absolue.
Si on prend les données de vos travaux au sérieux, quels enseignements faut-il en tirer concrètement ?
Il faut considérer les résultats de cette enquête comme une alerte par rapport au discours qui prétend que les bureaux comme les salariés devraient être mobiles, flexibles et adaptables sous prétexte que l’économie et les technologies seraient en perpétuel changement. Nous sommes bel et bien engagés dans une dynamique globale de transformation de l'organisation productive des lieux de travail. Mais dans cette transformation, il y a une viscosité sociale des actifs qui est sous-estimée. Et pas seulement des actifs français, loin de là ! Ignorer cette réalité serait contre-productif à tous les niveaux. D’où l’intérêt de déconstruire le discours global pour faire des analyses plus fines et rentrer dans les spécificités de chaque entreprise et chaque immeuble de bureau. On constate ainsi qu’à l’encontre de cette vision très répandue qui présente aujourd’hui l’immeuble de bureau comme un hub tourné vers les activités collectives et la socialisation, la grande majorité des actifs exprime au contraire le souhait de disposer d’espaces où il serait possible de s’isoler. C’est d’ailleurs en partie ce qui explique le rejet massif du flex office.
Malgré les réticences exprimées par les actifs, de plus en plus de directions font le choix de basculer vers des postes non attribués. Comment gérer cette contradiction ?
Compte tenu de l’évolution du télétravail et de l’usage des espaces, on comprend bien la volonté des directions de passer à des postes non dédiés. Mais ce passage devra forcément s’opérer dans un jeu de compromis. Et si possible un compromis intelligent entre l’efficience sociale et notamment la qualité de vie au travail, l’efficience économique et désormais de plus en plus l’efficience environnementale. Le cahier des charges se durcit. Et il pèse de plus en plus sur les épaules du management du premier niveau qui voit sa tâche se compliquer avec le travail à distance. C’est pourquoi, ce compromis se situe davantage, selon moi, du côté des approches de desk sharing plutôt que de flex office. Il s’agit bien de mettre en place des bureaux partagés, mais dans des espaces fractionnés qui respectent la cohérence des équipes et structurée autour de la notion de territoires avec tous les attributs de l’ « open space intelligent » en termes d’acoustique, de collaboration, de concentration et bien sûr de convivialité.
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