
Rangée en piles au fond d’un placard ou posée à moitié entamée à côté d’une imprimante, la ramette de papier fait partie de ces symboles qui convoquent immédiatement l’imaginaire du bureau. Mais pour combien de temps encore ? Depuis le début de la crise sanitaire en 2020, l’image du collaborateur en home office, enchaînant les visioconférences et surfant sur les outils numériques collaboratifs, semble correspondre davantage à la réalité du travail.
En 2013, selon l’Ademe, la consommation moyenne de papier en ramettes d’un salarié s’élevait à 94 kg par an en France. Moins de dix ans plus tard, ce chiffre a chuté de près de 36 % pour atteindre 60 kg annuels en 2021. Une contraction que constate également le distributeur Lyreco à l’échelle de l’Europe avec une érosion moyenne de ses ventes de ramettes de 2 % par client chaque année. Le contexte de pandémie et la généralisation du télétravail ont accéléré cette tendance structurelle. « Jusqu’à la fin d’année 2020, en raison des confinements successifs, la consommation de papier reprographique a fortement diminué. Les entreprises ont eu davantage recours aux outils digitaux afin de maintenir leur activité. Puis, nous sommes entrés en 2021 et 2022 dans un cycle de rattrapage où la demande de papier a été très soutenue, sans pour autant retrouver les niveaux d’avant pandémie », observe Paul-Antoine Lacour, délégué général de Copacel, l’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses.
L’offre de papier en flux tendu
Le marché du papier reprographique semble aujourd’hui pris dans un effet de ciseau, « une tension qui résulte du décalage entre l’offre, qui a fortement diminué en Europe, et la demande qui a baissé moins rapidement », explique Paul-Antoine Lacour de Copacel. En toile de fond, avec le développement du numérique depuis le début des années 2000, les industriels réorientent progressivement leurs productions vers une activité plus porteuse : l’emballage. En début d’année le fabricant finno-suédois Stora Enso a annoncé son désengagement du papier graphique avant de céder deux de ses usines en septembre. Même stratégie pour le fabricant sud-africain Sappi qui a vendu trois de ses usines. Autre acteur européen fournisseur de pâte à papier, Sylvamo s’est séparé de son unité de production russe. « À ce phénomène est venu s’ajouter en 2022 la grève des papetiers d’UPM en Finlande qui a provoqué une réduction massive des volumes de papier disponibles sur le marché », explique Gauthier Delannoy de Lyreco. Enfin, le conflit en Ukraine a gelé la livraison de papier provenant d’usines en Russie, incapables de livrer en Europe de l’Ouest. Pour Paul-Antoine Lacour, en 2023, le marché est entré dans un nouveau cycle qui résulte d’un ralentissement de l’activité économique. À l’inverse des coûts de production élevés, la contraction de l’offre et de la demande devrait en théorie peser en faveur d’une baisse des prix : « Les entreprises, en fonction de leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, fixeront la manière dont les prix du papier vont évoluer ».

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Le blanchiment du papier reste l'étape la plus polluante dans le processus de fabrication. L'usage de dioxyde de chlore (ECF) est le procédé le plus répandu pour la confection de 84 % des pâtes chimiques.
Le papier en crise
Si les volumes continuent de décroître, les ventes de papier en valeur, elles, flambent depuis 2021 : + 27,1 % sur l’année 2022 selon le baromètre GfK pour l’Ufipa. La filière papetière est désormais confrontée à une situation inédite qui la pousse à augmenter ses prix. Comme beaucoup d’autres secteurs d’activité, l’approvisionnement en matières premières est devenu une priorité pour les fabricants qui font face à une réduction mondiale de la production de pâte à papier. Entre le début 2021 et la fin 2022, le prix de la tonne de la pâte à papier a ainsi doublé, passant de 700 à 1 400 euros. « Le prix de la ramette est traditionnellement lié au cours de la pâte à papier. Mais c’est l’augmentation globale des coûts de production qui a majoritairement motivé ces hausses de tarifs », explique Raphaël Minodier, directeur commercial chez Clairefontaine.
Le secteur souffre aujourd’hui essentiellement de la crise énergétique qui s’est amplifiée depuis le début de la guerre en Ukraine. « Notre industrie est particulièrement intensive en énergie. Pour le fonctionnement des machines et le séchage du papier, nous avons notamment recours à l’électricité et au gaz dont les prix s’envolent », confirme Paul-Antoine Lacour de Copacel. À cela s’ajoute les autres difficultés liées aux facteurs de production comme les coûts de transport ou la pénurie des adjuvants qui peuvent avoir un effet sur la disponibilité des produits.
Une affaire de coûts
Dans ce contexte, le prix élevé de la ramette pourrait être un argument supplémentaire qui pousse les entreprises à accélérer sur la dématérialisation. Pour les grandes organisations très consommatrices – notamment dans le secteur bancaire ou de l’assurance - acheter du papier revient plus cher et la question d’alternatives numériques se pose sérieusement. Pour la gestion des données clients et sociétaires, le recours aux fonctionnalités de GED (gestion électronique du document) constitue le socle de cette stratégie de réduction de papier. La mise en place de solutions avancées de gestion de contenus (type ECM, Enterprise content management ou CSP, Content service plateform) permet ensuite de gérer complètement à distance des processus de bout en bout. Un investissement conséquent mais qui présente un intérêt financier à moyen et long terme.
« Nous sommes entrés en 2021 et 2022 dans un cycle de rattrapage où la demande de papier a été très soutenue, sans pour autant retrouver les niveaux d’avant pandémie ». Paul-Antoine Lacour, Copacel.
Pour les autres profils moins consommateurs, comme les TPE et PME, cette hausse de prix a en revanche un impact beaucoup plus limité : « sur de plus petits volumes ce poste d’achat n’augmente pas drastiquement puisque la consommation de papier continue de baisser », précise Gauthier Delannoy, directeur de l’offre de produits et services de Lyreco France. Par ailleurs, les PME accusent encore un retard dans le domaine de la dématérialisation et restent très attachées à la culture du papier. En 2022, selon une étude IDC sur le passage du papier au numérique dans les PME, plus d’une entreprise sur deux (56 %) déclare se heurter à des difficultés dans leur transformation numérique : la culture du papier et la résistance au changement de certains collaborateurs (pour 70 % d’entre elles), le temps passé à numériser les documents (48 %), le volume persistant de documents reçus sous forme papier (39 %). Les solutions d’automatisation des workflows documentaires, de logiciels de capture, de reconnaissance, de classement de documents restent ainsi sous-exploitées.
Evolution du prix de la pâte à papier

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"L'augmentation globale des coûts de production a majoritairement motivé les hausses des tarifs". Raphaël Minodier, Clairefontaine.
Maîtriser la consommation de papier
Le vrai moteur qui pousse les entreprises à abandonner le papier n’est donc pas le coût, mais bel et bien la recherche d’efficacité par la transformation numérique, l’amélioration des processus métier et la relation client. Dans ce contexte, la baisse de la consommation de papier est un phénomène acté par les fabricants qui ne cherchent plus à opposer les deux supports. À l’image des fournisseurs de services d’impression, ils proposent désormais des solutions pour optimiser la gestion et mieux intégrer les politiques d’achat responsable. Selon le guide Écobureau publié par l’Ademe en 2021, 25 % des documents sont jetés cinq minutes après avoir été imprimés et 16 % des impressions ne sont jamais lues. « Les offres de Managed print services (MPS) permettent, par exemple, de déployer du pull printing afin de réduire de 15 à 20 % le gâchis de papier. Concrètement, on ne déclenche les impressions qu’en posant le badge sur un photocopieur. Il est possible également d’instaurer une règle de suppression automatique du document de la file d’attente passé un certain délai. On fait des économies sur du papier et de l’encre mieux utilisés », explique Philippe Chaventré, directeur d’Armor Print Solutions pour la France.
« Sur des petits volumes, le poste d’achat de papier n’augmente pas drastiquement puisque la consommation de continue de baisser ». Gauthier Delannoy, Lyreco France.
Autre avantage des solutions MPS : la mise en place de politiques d’impression. Appliquer des quotas d’impression, par logiciel, par équipe ou par service permet de limiter le nombre de pages imprimées par personne et de fixer une règle pour la couleur et le noir et blanc. « Une page couleur coûte à peu près huit fois plus cher à imprimer qu’une feuille noir et blanc. Ce n’est pas un détail, c’est là que réside la valeur de notre conseil. Pour l’entreprise c’est une réflexion stratégique qui peut entraîner toute une cascade d’économies : sur le remplacement des cartouches, sur le type d’imprimantes (simples ou MFP) et enfin sur la dimension de leur parc de matériels », poursuit l’expert. Sur ce terrain, l’offre MPS Dyalog d’Armor se distingue de ses concurrents fabricants en proposant des solutions compatibles avec des parcs d’imprimantes hétérogènes – sans obligation de remplacement de matériel donc - et propose des consommables remanufacturés compatibles de sa marque OWA. Un discours aussi économique qu’écologique qui pénètre désormais de mieux en mieux les mentalités.

© Riposte Verte
Vers une consommation plus verte
Sujet aujourd’hui au centre des politiques RSE, l’écologie continue de creuser son sillon dans l’environnement de travail. Une occasion pour le papier « vert » de tirer son épingle du jeu ? Entreprises et fabricants ne semblent pourtant pas avancer à la même vitesse. Du côté des industriels, pour Cyril Hergott, responsable conseil RSE chez Riposte Verte, l’offre de papiers durables est déjà en place et abondante car de nombreuses gammes répondent aux principales exigences environnementales. « La notation du baromètre sur la politique papier des entreprises (PAP 50) se fonde sur une classification des labels environnementaux. Ils permettent d’identifier un vrai papier responsable. Issu de forêts gérées durablement ou à partir de fibres recyclées (FSC et PEFC), celui-ci est idéalement fabriqué en circuit court (Ecolabel, Nordic Swan, Origine France…) ce qui favorise la traçabilité des bois, garantit l’emploi local et limite l’empreinte carbone. Si l’usine utilise la biomasse comme source d’énergie les émissions de gaz à effet de serre sont encore plus faibles. »
Même si le PAP 50 salue l’engagement de quelques gros consommateurs de papier et la mise en place plus systématique de services de tri et collecte – comme en propose Lyreco depuis 2022 -, l’étude déplore tout de même un manque généralisé d’achats durables. Un constat que partagent les acteurs de la filière qui, même s'ils restent discrets sur le sujet, observent que les intentions d'achats durables ne sont pas suivies de commandes concrètes.

Clément Batifoulier
Depuis 2022, Lyreco a lancé une solution de collecte et de revalorisation de papier usagé : objectif donner une seconde vie à plus de 4000 tonnes de papier par an.
S’intéresser aux usages
Derrière les politiques RSE ambitieuses persiste encore une faiblesse qui relève d’un manque de sensibilisation aux critères environnementaux. « Pour qu’une politique papier ou numérique soit efficace, elle doit être suivie dans le temps. Le digital dans les grands groupes est mieux géré car il existe des directions informatiques mais pour le papier, comme bien souvent dans les TPE et PME, c’est le responsable administratif qui achète sans avoir toutes les clés en main, explique Cyril Hergott. Il est impératif de former les acheteurs afin de concrétiser la politique responsable avec un cahier des charges exhaustif comportant des critères environnementaux précis et surtout qui ne sont pas optionnels. »
« Les offres de MPS permettent déployer du pull printing afin de réduire de 15 à 20 % le gâchis de papier ». Philippe Chaventré, Armor Print Solutions.
Dans l’équation entre le papier et le numérique, la donnée écologique soulève donc un problème encore trop récurrent : celui de la méconnaissance des usages au sein de l’entreprise. Pour le résoudre, les organisations doivent s’attacher à comprendre la consommation réelle du papier et du numérique. « Idéalement, on préconise de faire une ACV, une analyse du cycle de vie des supports papier et digitaux », poursuit le spécialiste de Riposte Verte. Étant donné que c’est un diagnostic coûteux qui n’est pas accessible à toutes les entreprises, il est d’autant plus crucial de sensibiliser les collaborateurs et décisionnaires aux enjeux environnementaux et de pratiquer des autodiagnostics. Une démarche vertueuse qui permet de dépasser l’opposition manichéenne entre le papier et le numérique.
Les coûts cachés du numérique
Contrairement aux idées reçues, le bilan n’est pas si facile à dresser. Un chiffre pour s’en convaincre : selon Culture Papier – association créée par des acteurs de la filière dont Mediapost et le groupe La Poste - 242 grammes de CO2 sont émis à l’envoi d’une facture électronique, soit l’équivalent de l’envoi de 15 factures papier. Malgré le travail de fond de la part d’organismes comme l’Ademe ou FranceNum et d’initiatives comme celle de Two Sides, The Shift Project et Culture Papier… les approches responsables sur le papier et le numérique restent vulnérables au greenwashing. « Il n’y a aujourd’hui presque aucune prise de conscience sur les impacts environnementaux du numérique. C’est probablement le résultat d’années de matraquage sur le numérique à zéro impact. Replanter un arbre reste plus vertueux que l’extraction de kilos de métaux rares et de pétrole pour fabriquer un ordinateur », complète Cyril Hergott. Un point de vue que partage Paul-Antoine Lacour de Copacel, qui espère dépasser ces clivages. « Nous ne sommes pas des marchands de bougies qui voient arriver l’électricité d’un mauvais œil. Nous souhaitons simplement alerter sur des dérives marketing qui alimentent des idées reçues sur le numérique ».

Tapati - 123RF
En 2021, selon une étude de Markess by Exaegis, 64 % des entreprises et organisations publiques s'étaient déjà dotées d'une solution de signature électronique.
« Il n’y a aujourd’hui presque aucune prise de conscience sur les impacts environnementaux du numérique ». Cyril Hergott, Riposte Verte.
Le 5 juin 2022, Docusign France diffusait sur les réseaux sociaux une publicité affirmant préserver la planète et les forêts avec un bilan impressionnant, « 22 milliards de litres d’eau sauvés », « Plus de 6 millions d’arbres sauvés depuis 2003 », « 55 milliards de feuilles de papiers sauvées ». Seul hic, aucun élément ne permettait d’évaluer l’impact réel du service de signature électronique proposé par Docusign. Un exemple caractéristique de greenwashing aux yeux de l’association Two Sides qui a décidé de déposer plainte auprès du Jury de déontologie publicitaire (JDP). Dans son verdict rendu le 12 décembre, le JDP – qui a donné raison à l’association - souligne que « le recours au numérique ne constitue pas en soi une garantie [en matière de réduction d’émissions carbone] ». Un avis qui rappelle entre les lignes que la « dématérialisation » est décidément bien mal nommée.
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