En cas d'utilisation d'un purificateur, les autorités sanitaires recommandent que seules des unités de filtration équipées de HEPA soient mises en œuvre. © Camfil
En cas d'utilisation d'un purificateur, les autorités sanitaires recommandent que seules des unités de filtration équipées de HEPA soient mises en œuvre.
Sous l’effet de la pandémie, les purificateurs d’air ont fait leur apparition dans les open spaces et les salles de réunion. Si ces appareils sont souvent présentés comme un moyen de lutte efficace contre le virus, le gouvernement se refuse encore à recommander leur généralisation.

La question fait débat dans les écoles depuis une douzaine de mois. Elle arrive aujourd’hui dans le monde du travail où de plus en plus d’entreprises envisagent l’installation de purificateurs d’air pour limiter les risques de transmission du ­Covid-19 et rassurer des salariés inquiets par le retour au bureau. « Après le milieu scolaire et les établissements de santé, ce sont désormais les entreprises qui se penchent sur ces technologies. Les demandes de devis explosent », confirme Charles-Henri Dornbierer, responsable de la commission « purificateur » au sein de la Fédération interprofessionnelle des métiers de l’environnement atmosphérique (FIMEA). Si certaines collectivités ont déja massivement investi pour équiper leurs écoles, le recours à ces systèmes est pourtant encore loin de faire l’unanimité. Le premier à douter de leur intérêt face au virus est le gouvernement lui-même. En novembre dernier, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait rejeté leur utilisation dans les établissements scolaires, mettant en cause leur efficacité. Le Haut conseil de santé publique (HSCP) fait preuve lui aussi d’une extrême prudence sur le sujet. Dans un avis publié en mai 2021 et mis à jour début septembre, il limite l’usage des unités mobiles de filtration d’air aux seuls cas où la ventilation ou l’aération des locaux serait insuffisante et avec le respect de plusieurs exigences techniques. Même réserve au ministère du Travail dont le protocole sanitaire s’abstient de mentionner les systèmes de purification. Des positions qui suscitent depuis un an les reproches de certaines personnalités politiques, mais aussi de médecins qui réclament la généralisation de ces appareils. C’est notamment le choix fait par l’Allemagne qui a annoncé en juillet le déploiement de purificateurs dans les salles de classe mal ventilées. D’autres pays comme les États-Unis, l’Autriche, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas se sont également prononcés en faveur de leur utilisation tout en rappelant le rôle essentiel de la ventilation. 

Des doutes sur l’innocuité de certains appareils

Les réticences des pouvoirs publics français à l’égard de ces appareils ne datent pas de la pandémie. En 2002 déjà, le Conseil supérieur d’hygiène publique de France (ancêtre du HCSP) pointait du doigt la faiblesse des connaissances sur les bénéfices sanitaires liés à leur utilisation. Ce texte s’interrogeait également sur l’innocuité de certaines technologies. Une mise en garde reprise en 2017 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Dans le viseur de l’agence : les purificateurs mettant œuvre des techniques de traitement photochimique de l’air telles que la photocatalyse, le plasma, l’ionisation ou l’ozonation. Dans son rapport, l’Anses soulignait non seulement que les données scientifiques ne permettaient pas de démontrer l’efficacité de ces appareils, mais que leur mode de fonctionnement était également susceptible de générer des polluants dangereux pour la santé. En 2020, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a répété ces avertissements en déconseillant « fortement » de choisir de tels dispositifs.Seule technique à échapper aux critiques : la filtration HEPA (High Efficiency Particulate Air) qui présente l’avantage de ne pas générer d’impuretés nocives. C’est également le procédé le plus répandu et l’un des plus performants : les filtres ont la capacité de piéger plus de 90 % des contaminants d’un diamètre nanométrique. Soit la taille d’une particule virale comme le SARS-CoV-2.

Peu de références aux normes

Plus que le sujet de l’innocuité, c’est celui de l’efficacité des équipements en situation réelle d’utilisation qui soulève aujourd’hui encore de nombreuses questions. Depuis un an, l’offre a explosé avec des dispositifs qui revendiquent une action « anti-Covid » sans toujours être capables de la justifier. « On a créé beaucoup de confusions autour de ces systèmes, souligne Fabien Squinazi, médecin biologiste, membre du HCSP. Il n’y a aucun doute sur les performances intrinsèques d’un filtre HEPA sur des particules susceptibles de véhiculer un virus ou sur les virus eux-mêmes. Mais il est totalement abusif de définir l’efficacité d’un purificateur à partir de la seule performance du filtre. De nombreux autres paramètres entrent en ligne de compte ». En France, une norme générale ­ (NF B 44-200) permet aujourd’hui aux fabricants d’évaluer les capacités d’épuration de leurs produits sur des polluants comme les poussières, les micro-organismes ou les allergènes. Mais rares sont ceux qui font référence à ces protocoles pour caractériser les niveaux de performance de leur système. Si certains fournisseurs mettent en avant leurs propres tests, les résultats obtenus restent ­difficilement transposables.

Des preuves d’efficacité en laboratoire

De même, peu d’appareils ont jusqu’à présent été qualifiés vis-à-vis du SARS-CoV-2. Fin 2020, la région Auvergne Rhône-Alpes a sollicité le laboratoire lyonnais VirPath et sa plateforme technologique VirNext pour soumettre deux modèles de purificateurs d’air dotés de filtres HEPA à une série d’essais. « Nous disposons, en laboratoire BSL-3, d’une enceinte confinée de 2,5 m3 qui permet de générer de façon reproductible une atmosphère stable hautement contaminée par des particules virales infectieuses de SARS-CoV-2, explique Manuel Rosa-Calatrava, directeur de recherche à l’Inserm et directeur du laboratoire. Nous évaluons les appareils en faisant varier le temps de fonctionnement et les volumes d’air traités avant de mesurer la quantité résiduelle de virus infectieux dans la chambre d’essai, ce qui nous permet d’en déterminer l’efficacité ».

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(c) Laboratoire Virpath - Plateforme de Recherche Technologique VirNext
Deux manipulateurs de la plateforme de recherche technologique VirNext collectent, dans un laboratoire de biosécurité BSL-3, des particules virales infectieuses pour l'évaluation des performances de purificateurs d’air.

Bilan des tests : les deux unités présentaient des taux d’abattement viral supérieurs à 99,9 % pour 10 recirculations théoriques de l’air contaminée de la chambre d’essai. « On dispose pour la première fois de preuves expérimentales de l’efficacité, non pas seulement d’un filtre, mais bien d’un système complet », souligne Pascal Noui, responsable des ventes segment hygiénistes chez Camfil dont l’un des appareils a été évalué par VirNext. Si ces résultats viennent confirmer la pertinence de la filtration mécanique, ils ne constituent pas pour autant un blanc-seing pour la technologie. « Ces essais valident les performances intrinsèques d’un appareil, souligne Manuel Rosa-Calatrava. Ils fournissent des données scientifiques d’autant plus importantes que les résultats obtenus pour un virus ne sont pas forcément transposables à un autre. Mais elles ne permettent pas de dire à l’avance quelle sera l’efficacité d’épuration d’un dispositif dans un contexte donné. Intégrées à des paramètres connus d’aéraulique, elles doivent néanmoins permettre de contribuer à l’élaboration de procédures optimisées de déploiement et de modes de fonctionnement des dispositifs in situ ».

Démontrer l’efficacité réelle en situation

Le débit d’air épuré, l’orientation de la bouche de soufflage, la position de l’appareil dans la pièce, les obstacles aux flux d’air, le nombre de personnes présentes ou encore l’interaction avec la ventilation sont autant de paramètres qui auront un impact sur l’efficacité des purificateurs. « Ce n’est pas parce qu’on a déposé un appareil dans une pièce que l’on va obtenir les taux de brassage et les flux aérauliques qui permettront de traiter l’ensemble de la salle de façon homogène, souligne Fabien Squinazi. On manque encore d’études qui précisent la capacité des purificateurs à réduire les concentrations des particules les plus fines dans la pièce traitée, c’est-à-dire en situation et pas seulement en laboratoire ». Des expérimentations récentes, réalisées en conditions réalistes aux États-Unis et en Allemagne, ont mis évidence l’efficacité d’unités de filtration dans la réduction des particules présentes dans l’air. Mais pour le HCSP, ces travaux restent encore trop peu nombreux. Et si des études ont bien été menées en France, aucune n’a encore été publiée. C’est justement pour pallier ce manque de connaissances que la FIMEA vient d’élaborer un protocole d’essais visant à évaluer les purificateurs dans des conditions réelles de mise en œuvre. « Les fabricants se sont mis d’accord autour d’un référentiel validé par des experts extérieurs. Les premiers résultats devraient être connus d’ici à la fin de l’année », précise Étienne de Vanssay, président de la fédération. L’objectif est que ces contrôles aboutissent à la délivrance d’un label de qualité pour les purificateurs qui passeront les tests avec succès. « C’est notre rôle d’apporter des éléments de connaissance et de reconnaissance pour permettre de réguler ce marché et faire en sorte que la filière soit crédible », souligne Étienne de Vanssay.

« Peu d’appareils ont jusqu’à présent été qualifiés vis-à-vis du SARS-CoV-2 »

Le débit d’air, un paramètre clé

En attendant, les entreprises qui souhaitent investir devront vérifier certains paramètres clés. À commencer par le débit d’air de l’appareil. « C’est cette information, mise en rapport avec le volume de la pièce, qui permettra de définir le taux de brassage en volume d’air par heure », explique Jean-Michel Vanhee, docteur en physique des aérosols, expert en filtration de l’air chez Camfil. Face au coronavirus, le HSCP recommande actuellement que ce taux soit au moins de 5 volumes par heure. Théoriquement, il faudrait ainsi un ou plusieurs purificateurs capables de souffler 500 m3/h pour traiter une salle de 40 m² avec une hauteur de 2,5 m. Cette valeur reste toutefois un compromis, car elle devrait logiquement être corrélée au nombre de personnes présentes dans la pièce. Plus le taux d’occupation est important, plus le taux de brassage doit augmenter. Dans tous les cas, le HCSP préconise de réaliser une étude technique préalable afin de déterminer le volume à traiter, le nombre d’appareils à installer ainsi que leur emplacement en fonction des obstacles à la circulation de l’air. Enfin, il faut garder à l’esprit que les débits communiqués sur les fiches techniques sont généralement ceux du soufflage indépendamment de la propreté de l’air rejeté. Peu de fabricants fournissent en effet le débit d’air épuré de leur dispositif, également appelé CADR (Clean air delivery rate). Pour éviter les mauvaises surprises, il n’est donc pas inutile de vérifer le débit nominal des filtres HEPA installés. Toute augmentation du débit de purificateur au-delà de ce seuil induira systématiquement une perte de rendement. Le risque est alors que l’appareil joue davantage le rôle de ventilateur que d’épurateur. Attention également à ne pas se fier à la seule mention HEPA. Pour revendiquer une telle appellation, chaque filtre doit avoir fait l’objet d’un test normalisé (EN 1822) et disposer d’un certificat individuel qui précise sa classification (généralement H13 ou H14).

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© AeraMaxPro Fellowes
Outre la performance intrinsèque du purificateur, son emplacement, les éventuels obstacles aux flux d'air ainsi que le taux d'occupation de la pièce auront une influence sur son efficacité.

Attention aux nuisances sonores

Autre caractéristique à prendre compte : le bruit. La plupart des fabricants avancent des niveaux sonores inférieurs à 60 décibels, une valeur généralement considérée comme acceptable dans les bureaux. Il est toutefois difficile de comparer les appareils entre eux : ces données sont souvent obtenues sans référentiel précis et à des débits différents. Mieux vaut donc vérifier le niveau sonore de l’appareil en fonction de la vitesse à laquelle il sera utilisé. Au risque sinon de voir les utilisateurs tout simplement arrêter le système. D’autres paramètres pourront également être regardés comme la régulation qui doit garantir un débit constant, la présence ou non d’un indicateur de colmatage des filtres ou encore la possibilité de souscrire un contrat de maintenance.

À l’arrivée, quelles que soient les performances du système installé, les fabricants comme les autorités sanitaires sont d’accord sur un point : son utilisation ne permettra pas de s’affranchir de l’application des gestes barrières. Purificateur ou pas, il faudra donc encore continuer à porter le masque et à ouvrir régulièrement les fenêtres en cas de ventilation insuffisante.

quand ouvrir les fenêtres ?

800 ppm : c’est le taux de dioxyde de carbone qu’il est recommandé de ne pas dépasser aujourd’hui dans les lieux clos (c’est moins dans les restaurants). Présentée dans la dernière version du protocole sanitaire applicable aux bureaux, la mesure de la concentration en CO2 offre un indicateur de l’apport d’air neuf extérieur même s’il ne permet pas de garantir l’absence du virus. Une valeur supérieure à ce seuil serait le signe d’un mauvais fonctionnement de la ventilation, d’une aération insuffisante ou d’un trop grand nombre de personnes dans la pièce. À noter qu’un purificateur n’aura aucun effet sur le renouvellement d’air (pas d’apport d’air neuf) et, par conséquent, sur le taux de CO2.

 

Un marché potentiel de 500 millions d’euros

Longtemps boudés par les professionnels comme par les particuliers, les purificateurs d’air n’avaient jusqu’à présent pas réussi à s’imposer sur le marché français. Il y a une décennie encore, les ventes d’appareils dans l’Hexagone ne dépassaient pas 1 million d’euros alors qu’au même moment elles explosaient dans les pays asiatiques. Il aura fallu attendre le milieu des années 2010 pour voir les Français s’intéresser à ces technologies, poussés par une sensibilisation croissante aux maladies associées à une mauvaise qualité de l’air intérieur. Mais c’est réellement la pandémie de Covid-19 qui permet aujourd’hui à la filière de décoller. La confirmation, au printemps 2020, d’une transmission par aérosols du virus a suscité un regain d’intérêt aussi soudain que spectaculaire pour ces dispositifs. « Il y a 4 ans, ce marché pesait à peine 25 millions d’euros, on l’estime aujourd’hui entre 80 et 100 millions d’euros », indique Charles-Henri Dornbierer, spécialiste des purificateurs au sein de la Fédération interprofessionnelle des métiers de l’environnement atmosphérique (FIMEA). En 2020, l’essor du secteur a été principalement porté par les marchés publics. En octobre, la région Auvergne Rhône-Alpes annonçait un plan d’investissement de 10 millions d’euros visant à équiper ses établissements scolaires. D’autres collectivités lui ont emboîté le pas, notamment en Île-de-France où la présidente de la région, Valérie Pécresse, a indiqué vouloir équiper toutes les écoles franciliennes. Selon la FIMEA, le marché français pourrait atteindre 500 millions d’euros d’ici à 2030.