L'étape de fabrication d'un smartphone représente près de 80 % de son empreinte carbone contre 20 % pour son utilisation. © Juliette Jem / PRS
L'étape de fabrication d'un smartphone représente près de 80 % de son empreinte carbone contre 20 % pour son utilisation.
À la croisée des chemins entre les exigences sociales, économiques et écologiques, l’environnement de travail est aujourd’hui le terrain d’expérimentation privilégié des politiques RSE : plus « vert », il représente l’un des premiers leviers de transformation activé par les entreprises. Dans ce grand mouvement, le reconditionné apparaît comme le fer de lance de la durabilité.

 
 

RSE : les trois lettres de l’acronyme pour la responsabilité sociétale des entreprises ont incontestablement pignon sur rue dans la sphère professionnelle. Si la RSE est aujourd’hui un synonyme de la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable elle représente également un levier de transformation interne important pour ces mêmes organisations. Argument de vente, enjeu d’image, synonyme de transformation, la RSE se joue sur plusieurs fronts et le chantier est immense. Pour les entreprises la question se pose de par où commencer. Face à ce passage obligé beaucoup font le choix de débuter par l’environnement de travail et les achats hors production. En principe, la RSE concerne donc toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, leur secteur d’activité ou leur situation géographique. Dans les faits pourtant, il existe de nombreuses différences de maturité sur ce sujet entre les grandes entreprises, les ETI, les TPE et PME françaises.

Un chantier à deux vitesses

Selon les résultats du baromètre RSE 2023, réalisé par le cabinet de conseil Wavestone et C3D l’association des directeurs du développement durable et de la RSE, la transformation durable des entreprises s’opère à deux niveaux différents. D’un côté les entreprises de plus de 500 salariés, se situant dans un périmètre réglementaire plus strict, et celles sous ce seuil évoluant dans un cadre légal moins contraignant. Directives NFRD et CSRD, décret BEGES, loi AGEC (voir encadré) Les obligations réglementaires qui pèsent sur les grandes organisations expliquent en partie la longueur d’avance qu’elles possèdent en général sur les TPE et PME. « Même si la sensibilité à ces thématiques joue son rôle dans les deux cas, les grands groupes disposent davantage d’une véritable politique d’achat responsable, d’équipes dédiées, elles font de la veille réglementaire et prennent des engagements publics. Là où, souvent, les plus petites organisations se lancent davantage par conviction », observe Marine Varret, responsable RSE de l’offre et de la chaîne d’approvisionnement chez le distributeur Manutan. Tandis que la RSE fait partie des priorités stratégiques des plus grandes entreprises, « les entreprises de plus petite taille en sont encore majoritairement au stade de la définition d’objectifs […] et ne possèdent pas forcément d’équipe ni de budget dédié. Le sujet le plus mature pour les entreprises de moins de 500 salariés, celui des relations et des conditions de travail, enregistre des premiers résultats pour seulement 14 % des entreprises répondantes », détaille le baromètre.

L’environnement de travail : un levier d’action

Cet écart de maturité explique aujourd’hui le poids variable de l’environnement de travail dans les politiques RSE. Pour autant, quelle que soit leur taille, les organisations semblent aujourd’hui avoir saisi l’intérêt d’actionner ce levier pour amorcer leur transformation. Toujours d’après le baromètre RSE 2023, la majorité des entreprises de moins de 500 salariés (68 %) a réalisé un bilan carbone complet alors même qu’aucune contrainte réglementaire ne les y oblige. Parmi les trois types d’émissions de ce bilan se trouve le scope 3 qui regroupe les émissions indirectement produites par l’entreprise. Il concerne les achats de matières premières, de services de produits, les déplacements des salariés, le transport des marchandises, la gestion des déchets générés par les activités de l’organisme, l’utilisation et fin de vie des produits et services vendus, l’immobilisation des biens et équipements de productions. « Selon l’Ademe, le scope 3 représente plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise. Dans ce spectre se trouve notamment toute la partie équipement au collaborateur. Du mobilier au numérique, en passant par la fourniture de bureau, cela représente un poids non négligeable en raison de l’approvisionnement et du cycle de vie des produits », explique Sophie Scantamburlo-Contreras, cofondatrice de Scop3, une plateforme d’achat de mobilier de seconde main.

Des contraintes réglementaires qui évoluent

Le cadre légal dans lequel évoluent les entreprises françaises se durcit particulièrement depuis quelques années sur le volet écologique. Une contrainte mais aussi une opportunité pour développer les politiques RSE. « Afin d’harmoniser les pratiques d’économie circulaire à l’échelle européenne, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) obligera progressivement à partir de 2024 les ETI et les entreprises de taille moyenne à déclarer la performance environnementale et sociale de leur activité », explique Jérome Verdiell, fondateur d’Abscr. À cette directive s’ajoute en France la réalisation du bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES). Jusqu’à 2022, cette règle concernait les entreprises de 500 salariés et se limitait aux scope 1 (émissions directes par le transport) et scope 2 (émissions liées aux consommations d’énergie). Depuis janvier 2023, elle intègre également le scope 3 des émissions indirectes. Depuis 2020, la loi Agec aussi se décline progressivement en vue de favoriser les achats durables et de limiter le gaspillage. Dans la sphère de l’environnement de travail elle touche aussi bien la réparabilité et la durabilité des produits vendus par les fabricants, que l’interdiction du plastique à usage unique en passant par la meilleure gestion des déchets. Un dernier point lui aussi renforcé par l’évolution du décret des 5 flux, qui obligera toutes les tailles d’entreprises à trier leurs biodéchets à partir du 1er janvier 2024.

Bien consciente de ces enjeux, la filière du bureau s’organise. En l’espace de cinq ans, les fabricants et distributeurs ont opéré un virage environnemental et continuent d’enrichir leurs catalogues de produits écoresponsables. « La notion d’écoresponsabilité est une notion assez complexe puisqu’il n’existe pas de définition de marché. Elle peut varier d’une entreprise à l’autre. Chez Manutan c’est un produit qui dispose d’un label environnemental reconnu par l’Ademe, ou qui comporte un minimum de 25 % de matières recyclées ou qui est issu du réemploi. La catégorie est en plein essor. À titre d’exemple, parmi nos 46000 références écoresponsables, le mobilier de bureau affiche une croissance de dix points supérieure à l’ensemble de la catégorie cette année », témoigne Marine Varret de Manutan.

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© 123RF
Selon l’Ademe, le scope 3 représente plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise.

Sous l’effet de la RSE, les distributeurs jouent désormais un rôle différent et opèrent une transformation de leur modèle économique. L’objectif n’est plus de vendre rapidement des stocks de produits mais de proposer de la valeur autour du conseil, de l’accompagnement et des services. En témoigne l’accélération de Manutan début 2022 sur la revalorisation de matériel avec le rachat de la start-up française Zack, expert de la seconde vie des produits électroniques. Des efforts redoublés au début 2023 avec le lancement d’une offre de reprise de mobilier de bureau.

« Selon l’Ademe, le scope 3 représente plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise. » Sophie Scantamburlo-Contreras, Scop3.

Le reconditionné comme moteur RSE

Dans le flou qui entoure encore la notion d’écoresponsabilité, la filière du reconditionnement tire effectivement son épingle du jeu. Au beau milieu de la jungle des labels environnementaux elle ne peut pas tricher. En s’illustrant plutôt comme le promoteur d’un véritable écosystème de revalorisation elle contribue à créer une valeur économique et sociale. Reprendre, réparer, réutiliser avant de recycler : c’est bel et bien aujourd’hui ce principe vertueux du reconditionné qui tire la catégorie des produits « verts ». Les organisations peuvent aujourd’hui compter sur un écosystème développé d’acteurs de la seconde vie sensibles à la question RSE. « Un changement de culture et de mentalités s’est opéré à la fois du côté clients et de celui des fournisseurs de solutions. D’une part, en dépit de leurs différents modèles économiques, les marketplace, reconditionneurs, fabricants, aménageurs collaborent beaucoup de manière informelle sur la circularité. D’autre part on a vraiment pu constater cette évolution chez les entreprises depuis notre création en 2015, ce qui a facilité notre travail avec les grands groupes sur la partie revente, revalorisation de leur mobilier et projets de rénovation. Au lieu de jeter on reconditionne dans nos ateliers puis on revend les produits à de plus petites entreprises », observe Christophe Cote, fondateur d’Adopte un bureau.

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© Adopte un bureau
L'entreprise Adopte un bureau est agréée par Herman Miller pour le reconditionnement des fauteuils de bureau de la marque allemande.

En parallèle d’une multiplication des acteurs du mobilier de seconde main, l’expertise des spécialistes du numérique reconditionné se développe, elle aussi, sur le même principe en profitant d’une expérience sur le marché BtoC. D’après les chiffres d’une étude commandée en avril 2023 par la plateforme de produits numériques reconditionnés Keeep, le marché en entreprise affiche une bonne dynamique : 32 % des entreprises privées ont déjà franchi le pas du numérique responsable en achetant des smartphones et ordinateurs reconditionnés et 36 % des professionnels qui n’ont pas encore recours au réemploi projettent d’investir dans les douze prochains mois.

Des résultats qui reflètent le travail de fond des experts du secteur visant à rassurer les acheteurs professionnels. « Certains utilisateurs ont vécu des mauvaises expériences avec la qualité des produits. On a donc besoin de travailler énormément la réassurance client. C’est pour cette raison que nous adoptons une position différente entre l’offre grand public et celle destinée aux entreprises : nous proposons uniquement des produits au plus haut grade de qualité, donc avec le moins de traces d’usure visibles, en changeant systématiquement les batteries et en assurant un service après-vente », détaille Olivier Bentz, directeur général de PRB, la section entreprise du fournisseur de smartphone reconditionnés PRS.

« Un changement de culture et de mentalités s’est opéré à la fois du côté clients et de celui des fournisseurs de solutions. » Christophe Cote, Adopte un bureau.

Des résultats documentés

Esthétiquement similaire, plus vertueux mais aussi moins cher : les bons points s’accumulent en faveur du réemploi. Mais le véritable argument du reconditionné c’est la donnée qui permet d’évaluer l’empreinte environnementale. « Entre l’extraction de matières premières, le transport et la production de déchets, on est aujourd’hui en mesure de chiffrer la quantité de rejet de CO2 évitée grâce à l’écoresponsabilité d’un produit », observe Sophie Scantamburlo-Contreras de Scop3. Une approche qui permet de fournir des données concrètes et détaillées aux entreprises sur l’impact d’un projet de réaménagement, d’équipement ou de l’utilisation du matériel écoresponsable. « Dans la plupart des cas, les labels environnementaux ne sont pas suffisants puisqu’ils ne portent pas sur tous les impacts du produit, notamment les émissions carbones. C’est pour cette raison que nous avons lancé début septembre le score d’impact environnemental sur 600 produits. Cet outil de mesure repose sur une méthodologie standardisée de l’analyse du cycle de vie (ACV) de la Commission européenne et vise à aider et encourager les achats durables », développe Marine Varret de Manutan.

Sur ce terrain de la donnée, le reconditionné l’emporte à nouveau sur le recyclé. « Ce qui pollue le plus n’est pas l’usage d’un smartphone mais sa phase de production. Au total pour chaque appareil, c’est 85 kg de matières premières extraites et 28 kg de CO2 en moins, soit une réduction de 87 % d’empreinte carbone pour un smartphone reconditionné par rapport à un produit neuf. Le tout pour une expérience utilisateur identique », ajoute Olivier Bentz de PRB. Du point de vue des entreprises, la disponibilité de ces données chiffrées présente un double avantage : celui de matérialiser les effets d’une action RSE à la fois en interne et en externe. Un argument qui compte face à des collaborateurs de plus en plus sensibles à la question environnementale.

« Dans la plupart des cas, les labels environnementaux ne sont pas suffisants puisqu’ils ne portent pas sur tous les impacts du produit, notamment les émissions carbones. » Marine Varret, Manutan.

Un enjeu d’image

À l’heure où l’image de la RSE est écornée par plusieurs exemples de greenwashing, la donnée environnementale constitue pour la fonction achat une preuve irréfutable de leurs actions sur le terrain de l’économie circulaire. « C’est un geste fort pour les employés. Les entreprises ont beaucoup de mal à recruter car le marché de l’emploi est très actif. Pour convaincre les talents de rejoindre une entreprise, il est important de montrer qu’on a des valeurs et qu’on mène des actions concrètes pour l’environnement », note Christophe Cote, d’Adopte un bureau.

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© Manutan
Depuis trois ans, manutan a revusa chaine logistique en optant pour des packagings 100% recyclés et recyclables et automatiquement adaptés à la hauteur du produit.

Si le travail sur les achats forme une porte d’entrée efficace pour engager une démarche RSE, l’étape supérieure consiste à embarquer les collaborateurs dans une réalité plus quotidienne. Certaines entreprises comme EDF disposent d’un solide réseau de collaborateurs, le Rhizome, particulièrement actif en interne afin d’accélérer la transformation de l’entreprise. Celui-ci réunit 1400 membres et organise des webinaires pour partager leurs actions concrètes ancrées dans l’environnement de travail quotidien des salariés. Mais les bons exemples comme celui-ci sont encore trop rares et font état d’un retard à l’allumage dans l’organisation des entreprises. « Dans les start-ups, TPE, PME, le dirigeant est généralement celui qui imprime la dynamique RSE et qui valide les achats : il est notre interlocuteur privilégié. Et plus la taille de l’entreprise augmente plus elle est structurée, avec un référent RSE, un responsable achats, un DET. Malheureusement, assez souvent on constate chez nos clients que ces personnes ne se parlent pas assez », témoigne Sophie Scantamburlo-Contreras de Scop3. Même son de cloche pour le spécialiste des smartphones reconditionnés de PRB : « Au lieu de convaincre un seul interlocuteur ou un seul service, on doit aujourd’hui embarquer toute l’entreprise dans ce projet. Et tout le monde n’est pas forcément prêt. »

« Au lieu de convaincre un seul interlocuteur ou un seul service, on doit aujourd’hui embarquer toute l’entreprise dans ce projet. Et tout le monde n’est pas forcément prêt. » Olivier Bentz, Phone Recycle Business

Passage obligé

Si la place de l’équipement de bureau et de l’environnement de travail est nécessairement rattachée à d’autres volets des actions RSE – en agrégeant différents métiers au sein d’une entreprise - il représente aujourd’hui un levier de performance et de compétitivité qu’il convient de bien identifier. La RSE devient désormais une véritable science de la donnée. « Certaines entreprises font de la RSE sans le savoir et, surtout, elles ne la mesurent pas. Pour progresser, quel que soit le sujet, il faut se référer à des indicateurs. La notation extra-financière peut être utile puisqu’elle établit un niveau de performance compréhensible par toutes les parties prenantes, explique Jérôme Verdiell, fondateur de la fintech Abcsr, qui propose une solution d’évaluation RSE – alignée sur les lignes directrices de la norme ISO 26000 - pour les TPE, PME et ETI et utilisables par les cabinets comptables et les consultants RSE.

« Certaines entreprises font de la RSE sans le savoir et, surtout, elles ne la mesurent pas. » Jérôme Verdiel, Abcsr.

Par-dessus tout la RSE ne sera plus une option, ni l’apanage des grandes entreprises. Dans le cadre de la directive européenne CSRD, elle devra nécessairement se traduire dans une vérité comptable : dès 2024, le seuil des entreprises concernées par ces indicateurs ne cessera de s’abaisser pour atteindre au 1er janvier 2025 celles remplissant deux des trois critères suivants : 250 salariés, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros de total de bilan. « Il existe aujourd’hui un effet de ruissellement. Les grandes entreprises et ETI disposent de fournisseurs qui sont des TPE et PME et le niveau d’exigence réglementaire vis-à-vis des politiques et pratiques durables descend nécessairement vers ces plus petites structures », poursuit l’expert.

Les choix environnementaux, sociaux et sociétaux ne peuvent cependant pas se limiter à des actions ponctuelles comme l’achat de matériel reconditionné et de produits écoresponsables. À l’image de la question énergétique - une réflexion de départ sur l’environnement de travail connecté des collaborateurs peut entraîner une cascade de considérations sur l’approche smart building, et l’économie d’énergie globale - cet engagement doit s’inscrire sur le long terme. Nul doute que la RSE sera le premier vecteur qui orientera les choix stratégiques liés à l’environnement de travail.