Le réemploi creuse peu à peu son sillon dans les entreprises. Profitant d’un contexte social et économique favorable à son développement, l’équipement de bureau reconditionné se pose en sérieuse alternative aux produits neufs. La structuration des offres et le discours des acteurs engagés font aujourd’hui sauter les derniers verrous des acheteurs.

Prix au rabais, chocs, défauts multiples, matériaux abîmés, ensemble dépareillé : les idées reçues sur les produits reconditionnés sont encore bien tenaces. Si le discours écologique du réemploi a plutôt bien pénétré les mentalités chez les particuliers, dans la sphère professionnelle, le marché des produits de seconde main reste encore émergent. Et pour cause : donnez le choix à un salarié entre un bureau neuf écoconçu et un autre issu du réemploi, sa préférence ira quasiment à coup sûr au mobilier neuf. Pourtant, sur l’échelle des principes de l’économie circulaire, mieux vaut réutiliser avant de recycler ! « Aux yeux des entreprises qui n’y sont pas encore sensibles, nous passons parfois pour des brocanteurs », s’amuse Raphaëlle George, directrice générale adjointe de Tricyle Office, entreprise spécialisée dans le mobilier de bureau d’occasion.

Des barrières à lever

Pour les acteurs du reconditionnement, le combat contre les idées reçues se mène sur trois fronts. Le premier d’entre eux consiste à évangéliser les collaborateurs. La difficulté pour les spécialistes de l’impression à accélérer sur le développement durable de leurs produits en est un bon exemple. « Que ce soit sur la réutilisation, le recyclage des consommables ou le reconditionnement des machines, le problème reste la récupération des cartouches ou des pièces auprès de l’utilisateur », confie Florine Darmon de Konica Minolta. Un manque de sensibilisation qui ralentit le processus de collecte et du réemploi.

Pour Maxime Baffert, fondateur de Bluedigo expert du mobilier reconditionné, il faut y voir le signe d’un second défi qui relève de l’éducation de marché. « Le système reste organisé autour d’un modèle linéaire : j’achète, j’utilise, je jette, et ensuite ? Passer à un fonctionnement circulaire implique forcément de changer les habitudes, y compris auprès de nos partenaires […] C’était le cas pour notre projet d’équipement de l’AFP (voir encadré, ndlr) en collaboration avec le cabinet Parella. L’organisation est sensiblement différente, surtout sur de grandes quantités, et nécessite de faire un peu de pédagogie. Contrairement à l’achat neuf sur catalogue, il faut anticiper et gérer en fonction des disponibilités dans notre stock à un instant T ».

Troisième partie à convaincre : les décideurs et acheteurs encore souvent réticents à équiper leurs salariés en matériel reconditionné. « Le poste de travail du salarié est parfois trop sacralisé par le CHSCT, ce qui affaiblit le discours du réemploi autour du bureau ou du siège », constate Raphaëlle George. Pour les acteurs du mobilier de seconde vie, la porte d’entrée dans l’entreprise se situe donc davantage du côté des espaces dédiés à la QVT. « Le recours au reconditionné débute souvent par les lieux de convivialité, cafétérias, tisaneries, probablement parce que les collaborateurs sont plus enclins à disposer de produits de seconde main comme à la maison », observe le fondateur de Bluedigo. D’où l’obligation, pour ces spécialistes de l’occasion, d’être capable proposer des ensembles de produits homogènes.

Un cadre légal favorable

Aujourd’hui, tout porte à croire que le réemploi va se déployer dans la sphère BtoB. « Une entreprise doit continuer de s’équiper. Vu le contexte économique, social, sanitaire et écologique, le reconditionné est le choix évident », souligne Clément Héraud, responsable marketing et communication chez Itancia, distributeur français spécialisé dans l’IT dont l’identité s’est construite en 1991 sur la seconde vie de la téléphonie d’entreprise.

« Passer à un fonctionnement circulaire implique forcément de changer les habitudes, y compris auprès de nos partenaires » Maxime Baffert, Bluedigo.

Depuis le 10 février 2020, le mouvement de fond du réemploi en France est porté par la loi antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC). Afin de lutter contre le gaspillage et faire des solutions reconditionnées les produits phares des achats responsables, la loi encourage un système circulaire et limite notamment la production de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) grâce à la réparabilité.

L’upcycling, quèsaco ?

Quelle est la différence entre un produit upcyclé et reconditionné ? La pratique très en vogue de l’upcycling associe le recyclage et la revalorisation des objets. « De la même manière que pour le reconditionné, on ne part pas de matériaux neufs mais de matière première usagée. Sauf qu’on la transforme en autre chose. Plutôt que de jeter des bureaux passés de mode, on les récupère, on les découpe, on les assemble avec d’autres éléments, pour en faire de nouveaux bureaux, des tables basses, ou des casiers par exemple », explique Augustin Poncelet cofondateur de Dizy Design, start-up spécialisée dans l’écoconception et l’upcycling. Un nouvel objet en somme, ce qui explique son prix équivalent à celui du neuf.

Pour le moment, seuls les acheteurs du secteur public ont l’obligation de consacrer 20 % de leurs dépenses à l’achat de produits de seconde vie (matériels d’impression, ordinateurs, matériels informatiques et de bureau – sauf meubles et logiciels). Si, pour certaines entreprises privées, l’argument RSE est le moteur de ces achats, l’argument économique reste le principal levier qui pousse à investir.

Le prix : premier argument d’achat

« Vous pourrez toujours raconter que c’est écolo, tendance et haut de gamme… mais on sait très bien que le prix n’y est pas pour rien ! », peut-on lire sur le site internet de Tricycle Office. Le principal atout de ces produits reste effectivement les prix cassés. Grandes marques de smartphones abordables, mobiliers haut de gamme à petits prix, remplacement de pièces détachées : la réduction du coût par rapport au neuf n’est pas négligeable.

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© Tricycle Office et © Paul Lesourd

C’est notamment valable pour les sièges de bureau, catégorie qui compte parmi les plus populaires sur le marché du mobilier d’occasion. Un siège du modèle Sayl d’Herman Miller, ayant déjà servi, se vend ainsi 300 € chez Tricyle Office contre les 800 € à la sortie d’usine. « Le développement du flex office, et plus généralement les projets de réaménagement de locaux, favorisent ce raisonnement, explique Maxime Baffert. Les entreprises vont y réfléchir à deux fois avant d’investir des milliers d’euros pour des postes de travail qui ne seront occupés que 60 % ou 40 % du temps. En se tournant vers le réemploi, elles paient moins cher et libèrent du budget pour le réinvestir autre part, dans l’équipement des espaces collaboratifs par exemple. »

Sécuriser les approvisionnements

Dans un contexte d’inflation et de marché fonctionnant en flux tendu pour assurer la disponibilité des produits, le reconditionné tire, là encore, son épingle du jeu. « C’est tout l’intérêt de notre filière mobilier : notre matière première existe déjà. Contrairement aux problématiques d’obsolescence qui existe dans la seconde vie de la connectique et des composants IT, notre enjeu est davantage logistique. Il faut récupérer des bureaux, les démonter, les redécouper […] C’est un calcul à faire puisque ce coût n’est pas neutre, non seulement financièrement, mais aussi sur le plan des émissions de carbone », détaille Raphaëlle George de Tricycle Office. Pour autant, quel que soit le secteur, d’un point de vue empreinte écologique, le bilan reste avantageux selon Clément Héraud : « Lorsque vous achetez un IPhone reconditionné, vous économisez en moyenne 48 à 50 kg d’équivalent de CO2 par rapport au produit neuf. Les entreprises cherchent de l’efficacité et à mesurer rapidement leur empreinte carbone.

« C’est tout l’intérêt de notre filière mobilier : notre matière première existe déjà » Raphaëlle George, Tricycle Office.

C’est le sens de notre offre Itancia Again avec nos trois centres de reconditionnement. Nous sommes compétitifs sur l’ensemble des gammes et possédons beaucoup de produits en stock pour fournir les revendeurs et intégrateurs.

L’AFP fait le choix de la seconde main

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© Lou Cézon - Bluedigo

Dans le cadre du projet de réaménagement de son siège situé place de la Bourse à Paris, l’Agence France-Presse (AFP) a sollicité le cabinet Parella et Bluedigo pour équiper ses espaces en mobilier de bureau reconditionné et neuf éco-conçu. Pour aménager les sept étages et les 300 postes de travail, la start-up a notamment mobilisé son réseau de partenaires parmi lesquels Maximum, Camif, Dizy Design ou encore Eurosit. Au total, la démarche a permis d’éviter l’extraction de 21 400 kg de matières premières et l’émission de 64 100 kg d’équivalent CO2.

Le client final au lieu d’acheter ses équipements reconditionnés (smartphones, PC, casque, équipements de visioconférence) chez différents fournisseurs s’adresse à un seul prestataire ». Un gain de temps précieux qui permet non seulement aux entreprises de sécuriser leurs approvisionnements mais aussi de maintenir leur activité en temps de crise.

Un enjeu d’image

La dernière raison qui pousse les entreprises à franchir le pas du reconditionné tient à la volonté de transparence sur leurs actions RSE. « Dans leurs critères d’achat, nos clients vont se reposer à la fois sur la politique d’entreprise du fournisseur, mais aussi sur les caractéristiques techniques et l’analyse du cycle de vie des produits que l’on propose […] Nous utilisons les fiches environnementales des produits pour déterminer de manière précise le poids de chaque étape », explique Karl Trouillon, responsable marketing chez Lexmark France. L’aménagement et l’équipement écoresponsable contribuent ainsi à renforcer la collaboration avec un partenaire autant qu’à rendre l’entreprise attractive aux yeux de ses salariés et des futurs collaborateurs.

Des initiatives qui se multiplient…

Pour amener les entreprises à se tourner progressivement vers le reconditionné, les acteurs de la filière ne se positionnent pas en ayatollah mais restent pragmatiques. « Nous préconisons un équilibre grâce au mix des produits neufs et issus du réemploi », insiste Clément Héraud. Un mélange vertueux qui, selon Maxime Baffert « facilite l’acceptation des collaborateurs en même temps qu’il permet de gérer intelligemment le renouvellement de l’équipement ». La tendance profite également de la multiplication des initiatives de la part d’acteurs historiques de l’équipement de bureau, ce qui accentue la visibilité de ces alternatives.

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© Itancia
Itancia Again effectue, en plus des autres critères, un contrôle du Débit d'absorption spécifique (DAS). Celui-ci mesure l'exposition du corps humain aux ondes électromagnétiques.

 

Steelcase a lancé début octobre une offre d’équipement de sa marque reconditionné sous le label Circular en complément de sa solution Eco’service de reprise et de valorisation de mobiliers usagés. Désormais, le fabricant américain propose à ses clients d’acheter directement des fauteuils et des bureaux, vendus 30 à 50 % moins cher que le neuf et remis à niveau par ses équipes. « Nous les désassemblons entièrement et procédons à une désinfection totale, puis à une remise en état mécanique et esthétique », explique Anthony Boulay, responsable Eco’Services – Circular.

« Nous préconisons un équilibre grâce au mix des produits neufs et issus du réemploi » Clément Héraud, Itancia

C’est aussi le cas pour Armor Print Solutions qui entend soutenir l’adoption des solutions Owa (cartouches, imprimantes reconditionnées et pièces détachées) par le développement de son offre Dyalog : « Notre ambition est de proposer des services d’impression managée qui reposent complètement sur le reconditionné », explique Philippe Chaventré, fraîchement recruté par le groupe au poste de directeur pour consolider le marché français.

... mais encore insuffisantes

En dépit des bons chiffres des spécialistes du reconditionnement, la marge de progression de la filière reste importante. Entre 2020 et 2021, Bluedigo a multiplié son chiffre d’affaires par quatre et affiche un résultat de 1 700 tonnes d’équivalent CO2 et 570 tonnes de déchets évités grâce à cette démarche. Une goutte d’eau dans l’océan des 100 000 tonnes de mobilier de bureau jetées chaque année. Selon les chiffres de Valdelia, en 2021, seul 3,6 % du mobilier usagé a été mis à disposition des entreprises du réemploi et de la réutilisation. Du côté Itancia, ce sont 416 000 produits informatiques qui ont trouvé une seconde vie en 2021, soit une économie de 11 240 tonnes d’équivalent CO2. Pas si mal lorsqu’on sait qu’une tonne de CO2 correspond à au vol aller-retour d’un passager entre Paris et New York. Mais encore insuffisant si l’on considère qu’en 2021, seules 7 % des machines de bureau étaient des matériels de seconde main selon l’Institut du Numérique Responsable.

Le software passe aussi au reconditionné

On pense souvent au matériel, mais assez peu aux licences de seconde vie. Ce qui représente pourtant d’énormes économies financières pour les DSI. « À l’inverse du hardware, il n’existe pas de notions de défaut, de détérioration ou d’esthétique pour les logiciels. Il y a moins de barrières à dépasser », observe Clément Héraud chez Itancia. Pour fournir des solutions clés en main aux entreprises, Itancia Again a ainsi mis au point, en vente indirecte, un Welcome Pack 100 % reconditionné pour les nouveaux collaborateurs. La licence d’occasion fait donc partie d’un panel intégrant un casque, un smartphone, un PC et un second écran.

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