On l’a dit et répété, la crise sanitaire et le télétravail ont accéléré la transformation digitale des entreprises. Désormais, l’enjeu est aussi pour elles d’adapter leurs processus métiers et documentaires à une économie de plus en plus numérique.

Les nouveaux leviers de la digitalisation

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le secteur de la dématérialisation et de la gestion documentaire a subi de plein fouet l’impact économique de la pandémie. Au cœur de la crise, l’heure était plus aux mesures d’urgence qu’au lancement de projets de transformation structurants. Sans compter que la réduction générale de l’activité a mécaniquement entraîné une baisse de documents à traiter par les prestataires de services externalisés. Si bien qu’après avoir progressé de 5 % en 2019, le marché a enregistré une croissance quasi nulle en 2020, selon les données du cabinet d’études Markess by Exaegis. Reste que l’expérience des confinements à répétition marque bel et bien une rupture sur ces sujets. « Les entreprises qui ont le mieux résisté sont celles qui étaient déjà engagées dans la transformation numérique de leurs activités, note Éric Jamet, directeur marketing et innovation de Tessi, spécialiste européen du Business process service (BPS). Pour les autres, la crise a incontestablement accéléré la prise de conscience du rôle de la digitalisation de leurs processus internes et de leurs relations externes. »

La crise sanitaire, un effet déclencheur

Selon le 10e baromètre annuel réalisé par Serda Conseil auprès de 300 acteurs publics et privés, 60 % des organisations interrogées considèrent que la pandémie et la généralisation du travail à distance ont eu un effet sur la mise en place d’une gouvernance de l’information. Et pour 15 % des répondants, ce contexte de crise a même été un « déclencheur ». En 2020, la priorité a donc été de chercher des solutions techniques pour assurer la continuité des activités. En témoignent, les bons résultats du marché de la signature électronique en croissance de 18 % en 2020. Distanciation oblige, 85 % professionnels interrogés par Serda Conseil placent l’accès et le partage des connaissances au premier rang des enjeux de la gouvernance documentaire. « Face aux circonstances, beaucoup d’entreprises se sont engagées dans une sorte de digitalisation d’urgence avec des outils de partage de type SharePoint qu’on peut déjà assimiler à de la gestion électronique du document (GED, ndlr), constate José Heider, responsable marketing de gamme RH chez Docaposte. Elles se posent désormais des questions sur l’étanchéité de ces systèmes, la problématique de la sécurisation et de la sauvegarde de leurs données. Autant de sujets de fond qui remontent aujourd’hui et les incitent à se lancer dans de vraies politiques de gouvernance ».

Des flux toujours plus numériques

Sur ce sujet comme sur bien d’autres, la crise a surtout renforcé des tendances qui étaient préexistantes. Hausse du télétravail, digitalisation des services, progression de l’e-commerce : les usages numériques ont connu un bond sans précédent avec à la clé une augmentation des flux de données. « C’est une mutation qui était largement engagée avant 2020, mais qui s’accélère aujourd’hui : l’information devient majoritairement numérique qu’il s’agisse d’e-mails, de documents dématérialisés à la source, de données issues d’applications métiers ou encore de parcours clients 100 % digitaux », confirme Éric Jamet. L’enjeu est désormais d’avoir la capacité d’intégrer les flux d’informations qui entrent dans l’entreprise quel que soit le format choisi par l’émetteur. « Qu’il s’agisse de contenu extrait d’un email, d’une pièce jointe, d’un PDF, d’un document papier ou bien de contenus nativement numériques, l’objectif est d’homogénéiser les formats. Et c’est seulement à partir de là qu’il est possible de mettre en place une gouvernance de la donnée », explique Clothilde Bonnier, chef de produit marketing chez Docaposte.

« Les entreprises qui ont le mieux résisté sont celles qui étaient déjà engagées dans la transformation numérique de leurs activités », Éric Jamet, Tessi

Des processus métiers aux processus clients

Historiquement, les logiciels de GED étaient centrés sur le support documentaire. Elles visaient à faciliter le stockage, l’accès et le traitement de documents numérisés ou produits nativement de façon électronique. Il y a 20 ans, les éditeurs ont étendu le périmètre de leurs outils à l’ensemble des ressources de l’entreprise, y compris aux images, aux vidéos et aux données brutes. C’est l’apparition des premières solutions de gestion de contenus (ECM, Enterprise content management) qui proposaient en plus des fonctionnalités documentaires classiques des services de workflows, de recherche, de collaboration, de bibliothèque et d’archivage. Aujourd’hui, ces approches évoluent vers des logiques de plateformes de services (CSP, Content service plateform) qui s’appuient notamment sur les possibilités du Cloud pour gérer d’importants volumes de données. Réputées plus agiles et plus flexibles, ces plateformes présentent également un mode d’interfaçage plus souple avec les différents systèmes de l’entreprise, mais aussi avec des sources de données externes. Qu’il s’agisse d’ECM ou de CSP, la tendance est désormais à la transversalité avec des solutions toujours plus ouvertes et connectées pour gérer des processus de bout en bout, des fournisseurs jusqu’aux clients.

« On cherche aujourd’hui à gagner en rapidité de réponse et à casser les silos d’informations », Franck Ziaja, Xelians

Répondre à la transformation des marchés

« Les entreprises qui se lancent dans une transformation numérique ne le font plus seulement pour des questions de coûts ou de partage de documents internes, souligne le directeur marketing et innovation de Tessi. Beaucoup de secteurs d'activité voient leur paysage se transformer avec l’arrivée de nouveaux entrants qui introduisent de nouvelles solutions basées sur l'automatisation et une utilisation plus native des technologies numériques. C’est le cas des fintechs dans la banque, des insurtech dans l’assurance ou encore des regtech dans le domaine de la conformité légale. L’adaptation à cette économie numérique constitue désormais le cœur de la transition digitale des organisations qui cherchent à rester compétitives ». Même constat chez Xelians qui voit dans la transformation des marchés un des premiers leviers de la modernisation des processus métiers. « L’amélioration de la qualité de services est désormais une priorité avec des solutions qui vont permettre de centraliser et de fluidifier les parcours clients de l’entrée en relation jusqu’à la gestion de contrats. On cherche aujourd’hui à gagner en rapidité de réponse et à casser les silos d’informations pour obtenir une vision à 360° du client », confirme Franck Ziaja.

« Il y a des exigences supplémentaires sur le numérique, tout simplement parce que le risque », José Heider, Docaposte

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© Karolina Grabows - Pexels

L’enjeu réglementaire

Autre grand moteur qui pousse les entreprises à revoir leurs pratiques en matière de gestion de l’information : la conformité réglementaire. Sans GED, il devient de plus en plus difficile de se conformer aux obligations légales en matière de dématérialisation (factures, appels d’offres, pièces justificatives…), mais aussi de respecter les exigences du RGPD. « Désormais, la question n’est plus seulement de retrouver ou de faire circuler l'information. Il s’agit aussi d’apporter la preuve que ces informations, lorsqu’elles contiennent des données personnelles, sont sécurisées et que leur durée de conservation est maîtrisée », note Franck Ziaja. Sur ce sujet, les spécialistes du document sont unanimes sur le fait qu’un important travail de pédagogie reste à faire. Et ce d’autant plus que la dématérialisation croissante des échanges multiplie les risques. « Dans le domaine des RH, il est par exemple aussi grave de stocker un document disciplinaire sur le Drive que de le conserver au-delà de la durée légale. Il y a des exigences supplémentaires sur le numérique, tout simplement parce que le risque devient systémique », pointe José Heider. La possibilité pour un individu de retrouver une information en formulant une simple requête dans une GED mal sécurisée est forcément plus grande que s’il doit fouiller dans des centaines de dossiers conservés dans une armoire sous clés. « En plus des durées de conservation et des contraintes RGPD, les entreprises doivent également se demander si elles stockent leurs documents dans l'environnement approprié, par exemple avec un coffre-fort numérique pour des documents sensibles », rappelle le directeur de Xelians Digital. Sans compter qu’il subsiste aujourd’hui encore de nombreuses confusions entre d’un côté la gestion et de l’autre l’archivage électronique du document qui permet d’assurer l’intégrité et la pérennité des données dans le temps. Deux sujets qui deviendront demain incontournables avec la progression de la signature électronique des documents. Malgré un trou d’air en 2020, le marché de la gestion documentaire devrait donc rapidement retrouver des couleurs. C’est en tout cas l’analyse de Markess by Exægis qui anticipe d’ores et déjà une croissance moyenne de 7 % d’ici à 2025.

« La dématérialisation du courrier fait partie intégrante des plans de continuité d’activité », Clothilde Bonnier, Docaposte

Le courrier à l’heure de la mobilité

Comment délivrer le courrier à des travailleurs de plus en plus nomades ? Bien que le trafic de plis postaux diminue de façon structurelle depuis une douzaine d’années (environ 8 % par an) aucune entreprise ne fonctionne aujourd’hui de façon 100 % digital. Même les banques en ligne continuent de recevoir des volumes importants de flux physiques. L’hybridation des modes de travail, mais aussi le flex office donnent ainsi un nouvel élan à la gestion électronique du courrier. « La dématérialisation du courrier entrant et sa mise à disposition auprès des bons services et des bonnes personnes sont plus que jamais un sujet d’actualité, notamment parce qu'il y a des entreprises qui ont fait le choix d'augmenter, y compris sur les fonctions de back-office, le télétravail », constate ainsi Franck Ziaja, directeur général de Xelians Digital. Avec la pandémie, les entreprises ont pris conscience de la nécessité de renforcer leur plan de continuité d’activité. « La numérisation des flux entrants et la rematérialisation des flux sortants par un écosystème de prestataires font désormais partie intégrante de cette stratégie, note Clothilde Bonnier, chef de produit marketing chez Docaposte. D’ailleurs pour les grands comptes, les flux de courriers entrants et sortants étaient souvent envisagés de façon séparée. Désormais, on parle de plus en plus d’un seul et même processus ».

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