© Adobe Stock
Critiqué et rejeté par une majorité de salariés, le flex office a mauvaise presse. Pur calcul économique ou véritable levier de transformation des organisations ? Si le débat n’est pas clos, ce mode de fonctionnement semble, en dépit de tout, s’imposer dans les entreprises.

 

À la question « qu’est-ce que le flex office ? » les aménageurs, autant que les salariés et les experts en immobilier d’entreprise, répondent souvent par cette image : « ce sont votre mug personnalisé et la photo encadrée de votre chien qui disparaissent du bureau ». Si la métaphore peut faire sourire, derrière se cache une réalité beaucoup plus sérieuse qui relève du rapport affectif à l’espace de travail. Une relation que l’organisation en flex office vient complètement bousculer. Desk sharing, free seating, bureau dynamique… toutes ces facettes du flex office reposent sur le principe du poste de travail non attribué (voir encadré). Un fonctionnement qui est loin de faire l’unanimité chez les salariés. En matière de qualité de vie au travail (QVT), l’Ifop atteste que 36 % des salariés qui n’ont pas de bureau attitré considèrent que la configuration de l’espace de travail a une influence négative sur leur santé. Dans le monde entier ils ne sont que 8 % à en faire leur espace de travail idéal, contre 76 % en faveur du poste attitré, selon l’enquête internationale d’Actineo réalisée début 2021.

55 % 

des collaborateurs préfèrent un poste attribué plutôt que davantage de jours de télétravail

« L’ère du travail hybride », Steelcase, 2022.

Un rejet massif qui témoigne des réticences et des inquiétudes qui planent sur le bureau partagé : crainte de ne pas trouver une place agréable le matin, perte de temps, tensions entre collaborateurs, sentiment d’isolement, de dépossession… Sur le terrain, le flex office reste toutefois une réalité difficile à cerner. Les nombreuses études mènent à des résultats divergents. Selon les chiffres d’une enquête de la Fondation Jean Jaurès, l’Ifop et le cabinet de conseil Selkis, seuls 16 % des salariés de bureau seraient aujourd’hui concernés par ce mode de fonctionnement. Le dernier baromètre 2021 de Parella indique, quant à lui, que 30 % des entreprises ont déjà franchi le pas et que 40 % envisagent à court terme sa mise en place. Quoi qu’il en soit, entre la pression économique qui pèse sur les organisations, les possibilités technologiques et la normalisation du télétravail, toutes les conditions sont désormais réunies pour que le flex office se développe.

Parellapage29_page-0001.jpg

Optimiser les mètres carrés

Premier effet du confinement en 2020 : la désertion des locaux a poussé les entreprises à reconsidérer leur stratégie immobilière. « Pendant cette période, beaucoup ont constaté qu’elles continuaient à payer des frais fixes pour des bureaux vides. Il y a eu une prise de conscience que ce coût immobilier, le deuxième plus important après les RH, pouvait être optimisé », explique Olivier Neuman, associé fondateur de Parella. Avant même la pandémie et le développement du télétravail, cette logique financière d’optimisation existait déjà notamment chez les grands groupes. Dans leur rapport de 2019, Measuremen, cabinet spécialisé dans l’occupation du lieu de travail, estimait en effet qu’entre les vacances, RTT et missions de terrain, les postes de travail n’étaient occupés que la moitié du temps en moyenne. Alors sur quel ressort s’appuyer pour réduire le nombre de mètres carrés et faire coïncider la surface avec la réelle occupation des bureaux ? Les acteurs de l’immobilier d’entreprise raisonnent avec le taux de foisonnement qui définit le nombre de postes de travail pour dix personnes. « Dans les grandes structures, les initiatives flex office engagées avant la crise se situaient autour de taux à 0,8 [soit 8 postes pour 10 collaborateurs] voire 0,7, ce qui était déjà agressif puisqu’il n’y avait alors qu’un jour de télétravail en moyenne », détaille Doriane Bettinger, directrice du pôle « People & Transformation » chez Parella. Avec l’augmentation du nombre de jours de travail à la maison, le taux moyen naturel constaté se situe désormais autour de 0,6.

« Il y a eu une prise de conscience que ce coût immobilier, le deuxième plus important après les RH, pouvait être optimisé » Olivier Neuman, Parella.

 

L’effet télétravail

Aujourd’hui, une très large majorité des entreprises s’accorde à dire qu’il n’y aura aucun retour en arrière possible. Avec en moyenne deux jours de home office par semaine, la donnée télétravail modifie sensiblement l’équation. « Les entreprises ont globalement compris qu’au-delà de la dimension financière d’optimisation, l’immobilier reste aussi un vecteur de performance en termes d’organisation », observe Christelle Bastard, directrice de recherche chez Cushman & Wakefield. La navette entre le bureau et le domicile fait du retour dans les locaux un enjeu majeur. Quelle tâche réalise-t-on à domicile ? Et à l’inverse, que fait-on au bureau, dans quel espace et avec qui ? Autant de questions que doivent se poser les entreprises qui entreprennent des réductions de surface. « Le flex office est un projet complexe nécessitant une fine compréhension du fonctionnement de son entreprise », note Thierry Zimmer, PDG de l’aménageur Cléram. Car le procédé ne se résume pas à un simple calcul mathématique. Il ne suffit pas de considérer que 50 % de ses collaborateurs sont quotidiennement en télétravail pour diviser par deux le nombre de mètres carrés. Encore faut-il pouvoir gérer les pics de fréquentation et surtout l’aménagement de nouveaux espaces. Car le passage au flex office n’est pas gratuit. L’argent éventuellement gagné sur la réduction de surface doit servir à créer de nouveaux espaces en phase avec les nouvelles façons de travailler : des lieux collaboratifs, d’échanges informels, des zones d’isolement, le tout équipé du mobilier et de la technologie adaptés aux réunions hybrides.

« Le flex office est un projet complexe nécessitant une fine compréhension du fonctionnement de son entreprise » Thierry Zimmer, Cléram.

 

Repenser le cadre de travail

En 2019, le baromètre Actineo révélait que 36 % des actifs exerçant dans un bureau étaient insatisfaits de leur lieu de travail. Un peu plus des deux tiers d’entre-deux estimaient même qu’il n’était pas adapté à leurs besoins. L’effet introspectif du télétravail pousse désormais les organisations à réfléchir plus largement au sens qu’elles veulent donner au retour au bureau. « Un passage en flex office réalisé uniquement dans un but d’optimisation financière peut être totalement contre-productif. Il écarte tout le volet structurel et culturel qui est pourtant un aspect essentiel de cette transformation », poursuit Christelle Bastard de Cushman & Wakefield. Le contexte de fragmentation du bureau remet en effet au centre des débats la question des besoins des salariés, dont la séparation entre vie personnelle et professionnelle est un pilier. « Plus que jamais, après l’expérience du tout télétravail, les locaux de l’entreprise sont un lieu de socialisation que les collaborateurs apprécient puisqu’il n’est justement pas chez eux. C’est d’autant plus marqué chez les jeunes générations qui veulent échanger en équipe, voire se créer un cercle d’amis », observe Thierry Zimmer de Cléram.

« Un passage en flex office réalisé uniquement dans un but d’optimisation financière peut être totalement contre-productif. Il écarte tout le volet structurel et culturel » Christelle Bastard, Cushman & Wakefield.

 

Un jeu de compromis

À la croisée des chemins entre la logique économique de réduction de surfaces, le volet social avec la qualité de vie au travail (QVT) et les questions d’inclusivité, et enfin les visées de productivité au travail, le flex office se dresse au centre de trois enjeux qui entrent en contradiction. En ce sens, il relance la sempiternelle question de l’histoire sociale du travail : comment faire converger les intérêts de l’un avec les nécessités de l’autre ? Par un jeu de compromis et de régulations constantes. « Sur les modalités de réorganisation des espaces, salariés et Instances représentatives du personnel (IRP) sont trop souvent mis dans la boucle au dernier moment, note Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT sur les questions d’organisation du travail. Résultat : comme on ne prend pas en considération l’activité concrète de travail, le flex office ne répond pas à de réels besoins. Ce qui détériore à la fois les conditions de travail, mais aussi l’efficacité collective, et par extension la performance de l’entreprise ». Tout l’enjeu, en cette période de crise sanitaire, est bel et bien de faire dialoguer toutes les parties pour éviter de tomber dans les écueils du mauvais flex office : éclatement des équipes, perte de repères, dépersonnalisation, manque d’espaces d’isolement, etc. Les syndicats mettent ainsi l’accent sur la nécessité d’étudier finement les réalités du terrain pour y apporter la meilleure réponse en termes d’aménagements. « Il faut à tout prix éviter le phénomène de course au poste de travail, qui peut être source de tension en interne, alerte Gérard Mardiné secrétaire général de la CFE – CGC. Le recours au bureau partagé doit être analysé en fonction des métiers et des outils utilisés. Pour les fonctions supports ou les commerciaux cela fonctionne bien, mais pour d’autres ce n’est pas adapté ».

« Le recours au bureau partagé doit être analysé en fonction des métiers et des outils utilisés » Gérard Mardiné, CFE - CGC.

Selon Alain d’Iribarne (voir interview), le flex office exprime la peur des salariés que leur employeur ne se préoccupe pas de leur bien-être et que les espaces de bureau ne répondent pas à leurs réels besoins. Depuis le début de la crise, l’adoption massive de la visioconférence a, en ce sens, changé la donne puisqu’elle a instauré de nouvelles pratiques collaboratives, plus ciblées sur le mode équipe. Cela a notamment poussé les structures à se doter de solutions technologiques performantes pour rendre confortables les réunions hybrides. Un passage obligé qui pose aussi la question de la mise à disposition d’espaces adaptés à la réalité des usages. Pour éviter le « syndrome Teams » du collaborateur, qui vagabonde à la recherche d’un espace disponible pour effectuer sa visio d’une demi-heure, la mise en place de l’open space intelligent est un prérequis au développement du flex office.

Autre compromis possible pour les entreprises : une forme de « ready to flex », moins radicale et moins coûteuse, susceptible d’évoluer pour accompagner la croissance d’une entreprise. « L’enjeu pour certains ne se résume pas à faire ou non du flex office, il s’agit plutôt de parer aux potentielles évolutions organisationnelles », explique Doriane Bettinger de Parella. Un point que souligne Olivier Neuman, alors même que la majorité des projets de réaménagement de Parella concerne du flex office : « on manque parfois de recul par rapport à ces nouvelles formes d’organisation. Il est important de savoir d’où vient l’entreprise. Si elle est issue d’un milieu très statutaire, avec du bureau fermé individuel, le grand écart peut être difficile. Dans ce cas on y va progressivement en réalisant des points d’étapes réguliers ».

OuvertureIstock1.png
Getty Images/iStockphoto

 

Le succès sur les épaules des managers

Pour Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT, la méfiance vis-à-vis du poste non attribué est aussi en partie liée à la rigidité des modes de travail : « en France, il existe encore une culture managériale de la vieille école, fondée sur le présentéisme et le suivi des tâches. Alors que le flex office pourrait être un levier d’une révolution managériale, pour développer la confiance, le soutien, l’autonomie ! ». Les taux bas de foisonnement et la gestion des pics de fréquentation aigus forcent parfois à imposer des jours de présence, ce qui provoque une importante surcharge managériale. Un poids à décharger des épaules des managers qui sont en première ligne de ce changement. Le bureau partagé se doit donc d’être un outil pensé pour le management. En impulsant un fonctionnement plus collaboratif et moins vertical, basé sur l’autonomie, la liberté et le choix, les managers pourraient être la clef du succès du flex office. « En tant que manager, j’ai évidemment un rôle d’exemplarité dans la pratique du bureau partagé, mais il y a aussi un enjeu d’image : je ne suis pas hors-sol à mille lieues des besoins de mon équipe, cloîtré dans un bureau fermé, mon poste de travail est aussi celui de mes équipes ». témoigne Guillaume Lamé, responsable du développement BtoB en France chez Logitech.

« Le flex office pourrait être un levier d’une révolution managériale, pour développer la confiance, le soutien, l’autonomie » Catherine Pinchaut, CFDT.

 

Plus qu’un flex office généralisé à l’ensemble des bureaux, l’aménagement en mode desk sharing est souvent présenté comme le compromis le plus adapté pour maintenir le lien social grâce aux territoires d’équipes. Dans cette transformation, les office managers auront eux aussi un rôle crucial à jouer en appui des managers afin de sonder et accompagner les collaborateurs vers de bonnes pratiques… À commencer, chaque soir en partant, par ranger le mug personnalisé et le cadre photo du chien dans un casier.

A lire aussi

Partage d’espaces : les algorithmes comme précieux soutiens

Danièle Linhart : « la qualité de la collaboration ne dépend pas du confort des canapés »

Alain d’Iribarne : « Desk sharing, sans doute le compromis le plus intelligent »